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François Buloz lui trouve « une certaine ressemblance avec Veuillot, » car Prosper, pour sortir de la bohème, s’avise un jour de diriger un journal de polémique religieuse : le Censeur catholique, et cet épicurien impénitent devient alors subitement un dialecticien de sacristie, un orateur sacré. Prosper Randoce, homme à double face, possède un assez méchant caractère, capable d’ingratitude, de lâcheté, et même de compromissions d’assez mauvais aloi…

François Buloz n’aime guère Veuillot qui le lui rend sans compter, mais c’est Veuillot, disons-le, « qui a commencé, » et qui aime-t-il, ce terrible homme ? L’antipathie qu’il affiche pour les collaborateurs de la Revue est connue. Ne disait-il pas de George Sand : « Plus je lis ses livres, plus je vois qu’elle a rêvé toute sa vie l’amour d’un scélérat, et qu’elle n’a pu obtenir que le caprice des drôles ![1] « Béranger trouve-t-il grâce à ses yeux ? — Non : il le juge d’une « immoralité sordide. » Et Cavour ? À peine enterré, comment Veuillot en parle-t-il ? « Quel sorte de mérite voulez-vous qui se cache sous cette sorte de figure ?… Quelles jambes, quel torse, quelles lunettes, quelles joues ! etc… » Quant à Planche, Veuillot lui manifesta aussi sa haine au delà de la mort. Charles de Mazade a relevé les faits dans la Revue au cours d’un article assez violent sur l’homme : « Les plaisanteries de M. Veuillot, il faut l’en prévenir, ne sont ni plaisantes ni neuves ; et ses sentences littéraires sont rédigées dans un style raboteux qui prouve plus d’exercice dans la diffamation que dans l’art poétique[2]. » Car c’est dans les Satires que la verve de Veuillot se manifestait alors. Eugène de Mirecourt, qui déteste cordialement le directeur de l’Univers, « révolutionnaire déclassé dans le catholicisme, » et l’appelle « le Fouquier-Tinville de l’ultramontisme, « Mirecourt, dis-je, s’est amusé assez comiquement à relever quelques-unes des « aménités distribuées par Louis Veuillot à ses contemporains ; » les voici :

— Brute, balourd, greluche, poussart, piedbot, navet, Cacambo, Patu, Diafoirus, fripon, vermine, eunuque, coquin, portier, canaille, babouin, cocher de fiacre, épicier, gredin, cuistre, drôle, goujat, etc.[3]. La haine de Mirecourt pour

  1. Mirecourt, Louis Veuillot.
  2. Ch. de Mazade, Un pamphlétaire catholique, 15 juillet 1863. Revue des Deux Mondes.
  3. Aujourd’hui, ces injures nous paraissent assez anodines : nous en avons lu d’autres !