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Heine. Je me rappelais d’ailleurs que j’avais refusé sa prose, sa prose maniérée, il y a dix ou douze ans… Mais j’ai voulu voir par moi-même si je m’étais trompé, et je me suis mis à lire la Bande du Jura et Vesper. Cette lecture m’a exaspéré, agacé comme autrefois… Que Dieu ait en sa sainte et digne garde les livres de Mme de Gasparin que je ne lirai plus jamais ! Seulement, je pourrai bien me donner le plaisir de faire comprendre à cette dame que mon embarras n’eût pas été mince, s’il m’avait fallu lire pour la Revue ses épreuves, seulement ponctuer ses phrases et fixer le sens de son éloquence. Bon Dieu ! quelles montagnes de sèches descriptions pour arriver, comme dans Vesper, à quatre ou cinq pages émues et naïves ! Me voilà revenu malgré moi à ces livres, qui me poursuivent comme un cauchemar ! C’est qu’ils n’ont fait qu’augmenter mes souffrances et mes ennuis qui vont en s’aggravant. Et je me demande parfois sérieusement, si je ne dois pas planter là la Revue, et aller plutôt planter mes choux à Ronjoux. Je suis vieux, je suis malade, je n’ai pas d’auxiliaires suffisants… Les Barbares arrivent, ils sont venus ; il nous faudrait ici un George Sand nouveau, un nouvel Alfred de Musset, un jeune Mérimée, un Victor Cherbuliez toujours prêt à chasser les ombres genevoises, un G. Planche et un Sainte-Beuve de trente ans (sans bonapartisme) pour faire face à tout. Voilà pourquoi l’heure de la retraite sonne pour moi[1]. »

On le voit, François Buloz passait par des alternatives de colère et de découragement. Sa correspondance l’accablait, et ses correspondants étaient souvent fort ennuyeux. Actuellement, rien n’est plus comique que de parcourir les lettres dont ils gratifiaient le directeur de la Revue ; pourtant il répondait lui-même aux collaborateurs éconduits, aux abonnés mécontents, et pour lui, que de temps perdu !

Voici, en 1859, M. Assollant qui propose une nouvelle à insérer immédiatement : deux feuilles d’impression, les Amours de Quatrequem ; il en est enchanté et affirme : « La donnée est neuve et originale, très gaie, c’est moral comme la vertu, et amusant comme le péché ! » Un autre collaborateur, M. Caillette, juge un récent article de Cousin avec sévérité, estime qu’il est « dépourvu de toute valeur scientifique. » Il n’aime pas davantage

  1. 10 janvier 1865. Inédite.