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corriger, avec François Buloz, les épreuves en cours. Celui-ci, très amicalement, tient son collaborateur au courant des nouvelles de la Revue, de ses propres projets, de ses difficultés. Un jour il a vu le Père Gratry, qui a manifesté une grande sympathie pour l’auteur de Kostia ; François Buloz en informe cet auteur, et gentiment, par retour du courrier, Cherbuliez affirmera que le Père Gratry est « le seul penseur que compte aujourd’hui le parti catholique. »

Une autre fois, il s’agit entre eux de Mme de Gasparin. Cette Muse protestante et suisse est l’auteur de quelques livres fortement teintés de prosélytisme qui firent un peu parler d’eux à l’époque : les Horizons célestes, la Bande du Jura, etc. La dame eut des agaceries pour le directeur de la Revue, tenta de s’introduire chez lui, en vain. Cependant, divers critiques s’occupèrent d’elle : l’on s’en étonne. Sainte-Beuve (dans ses Nouveaux Lundis) la rapprocha d’Eugénie de Guérin…[1] Bref, le style de cette dame exaspérait François Buloz qui ne comprit rien au succès de la Muse, et se montra froid. Elle s’en aperçut, mais ne put opposer qu’une mine souriante. Montégut ne lui consacra-t-il pas deux articles dans la Revue même ? « Je sais parfaitement que vous devez avoir des préventions contre mon pauvre petit individu ; qui dit Genève dit une grande femme sèche, raide, anguleuse ; qui dit protestante, dit besicles sur le nez, gaucherie invétérée, étroitesse à l’état chronique, etc. » Quelques années plus tard, elle revint à la charge, et François Buloz écrivit à Cherbuliez, compatriote de cette dixième Muse :


1er décembre 1859.

« Je vous dirai, mon cher ami, en confidence, que j’ai reçu récemment des lettres assez spirituelles de Mme de Gasparin, afin sans doute d’atténuer la critique de la Bande du Jura[2] ? Je n’ai pas encore répondu à ces lettres, parce que je vois que cette dame soigne son gloire, comme disait notre Allemand Henri

  1. Sainte-Beuve la loue. « C’est une calviniste qui a fait éclater son moule » etc., N. L. T. 9. Barbey d’Aurevilly, répondant à un article de Ch. Buet signé Vindex, concernant cette dame, s’écrie : « C’est là une âme qui s’échappe du protestantisme, et qu’il faudrait lui arracher. Elle, une mômière de Genève ! Ah ! Monsieur, vous lui avez fait le dernier des outrages. Vous l’avez comparée à son mari. » (Valognes, 10 novembre 1877.) Ch. Buet, Barbey d’Aurevilly, p. 56.
  2. 1er décembre 1859. M. de Rémusat en parle aussi dans la Revue du 15 décembre 1864 : Des Tristesses humaines.