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j’ai faites m’ont convaincu que dans les tristes destinées de ce grand homme, il faut voir autre chose que les disgrâces d’un courtisan et d’un amant éconduit. C’est au caractère même de son génie qu’il faut demander le secret de ses malheurs, à son goût d’indépendance, à son utopisme, et à la contradiction qui se trouvait entre ses instincts, sa culture, et l’esprit de son époque. Le Tasse est un homme de la Renaissance, qui a eu le malheur de naître cinquante ans trop tard, il était fait pour vivre à la cour de Laurent de Médicis, de Léon X, il a vécu dans l’Italie régénérée par le Concile de Trente, le jésuitisme et l’Inquisition. Ainsi en m’occupant de ses infortunes, j’aurai à traiter quelques questions d’histoire d’un haut intérêt, et surtout je chercherai à définir, mieux qu’on ne l’a fait, la pensée religieuse de la Renaissance, pensée trop méconnue, sorte de catholicisme idéaliste dont Marsile Ficin a été le théoricien et Raphaël l’annonciateur, utopie irréalisable qui a fait place a deux réalités très imparfaites, la réforme de Luther et le Jésuitisme. Le sujet est riche ; mon travail aura, je pense, la même étendue que les Causeries Athéniennes et je voudrais lui donner la même forme… Le cadre me sera donné par le couvent de Saint-Onuphre avec ses chênes qui ont ombragé les derniers sommeils du Tasse et ses jardins d’où l’on a la plus belle vue de Rome et du Latium. Beaucoup de recherches étaient nécessaires, et depuis mon retour, j’ai vécu dans la poussière des in-folio.

« Notre voyage a très bien réussi, mais les magnificences des sept collines ne m’ont point fait oublier les deux charmantes journées que j’ai passées auprès de vous, votre aimable hospitalité, les châtaigniers de Ronjoux, ses bois en pente, ses ravins, ses fermes éparses et cette merveilleuse terrasse où je retourne souvent en imagination. J’espère, cher monsieur, que vos courses répétées, et vos luttes contre l’esprit de routine et les cerveaux encroûtés, ne vous ont pas trop fatigué, et surtout que le succès vous a récompensé de vos peines[1]. »

Cherbuliez habitant Genève et le directeur de la Revue ayant constamment affaire à lui, leur correspondance n’est interrompue que par les courts séjours que fait le romancier à Ronjoux où il vient souvent rejoindre sa femme, sa fille Laurence, et

  1. Inédite.