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depuis peu, un an peut-être, puisque M. Dusolier présenta le « tribun » à l’« écrivain » à la fin de l’année 1862 au Café de Bruxelles. Ce fut un tournoi d’esprit et d’éloquence, les habitués demeurèrent éblouis. Mais lorsque l’année suivante Gambetta perdit le procès de Barbey, quelle déception ! Pour comble de maladresse, Gambetta compara Barbey à Voiture. Barbey lui dit, lorsque tout fut fini : « Monsieur, vous m’avez comparé à Voiture, mais vous avez plaidé comme… un fiacre ! » Le pauvre gentilhomme chouan dut payer tout seul son amende[1].

« Le connétable des lettres » venait justement de quitter le Pays pour des raisons semblables. Au Pays, un article signé de lui sur les Mameloucks de M. Hugo[2] qui flagellait vigoureusement le « succès » politique des Misérables, indigna les Hugolâtres ; un autre article sur les Entretiens de Gœthe et d’Eckermann, dans lequel Barbey d’Aurevilly maltraitait quelque peu Sainte-Beuve (qui venait de consacrer à l’ouvrage de Gœthe trois de ses lundis)[3], déplut… à Sainte-Beuve d’abord, puis à son entourage fort influent. Une lettre de Barbey d’Aurevilly à Hector de Saint-Maur le note. Elle est fort comique, cette lettre : « Sainte-Beuve, ce crapaud, qui voudrait tant être une vipère, Sainte-Beuve, dont j’ai parlé sans respect (parbleu !) dans mon dernier article sur Gœthe, est allé se plaindre, en se tenant le ventre, à son seigneur et maître Persigny, lequel a fait entendre aux esclaves qu’on serait bien aise que je ne fusse plus au Pays[4]. »

J’ai eu la curiosité de rechercher les pièces du procès Buloz-Barbey d’Aurevilly. Malheureusement pour nous, il est défendu à la presse judiciaire de reproduire les débats d’un procès en diffamation. En outre, la plaidoirie de Gambetta paraît perdue, et cela est regrettable, car, pas plus que son client, l’avocat ne dut être gracieux pour la Revue des Deux Mondes. Nogens Saint-Laurent plaida pour François Buloz et de Mars ; Lachaud pour Jouvin, directeur du Figaro. L’avocat général Me Aubepin prononça les conclusions. La Gazette des Tribunaux les publia, les voici[5] :

  1. Jacques Boulenger, Les Dandys. Barbey d’Aurevilly.
  2. Le 19 avril 1862, le 28 mai 1862. Le Pays.
  3. Nouveaux lundis, 6, 13, 14 octobre 1862.
  4. Grelé, déjà cit.
  5. Dans son livre sur Barbey d’Aurevilly, M. Grelé, parlant des conclusions se refuse à les reproduire « par respect pour les magistrats ; » il me semble exagérer quelque peu. »