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Une des attaques que Barbey d’Aurevilly devait considérer parmi les plus terribles est celle-ci : « Au début, François Buloz, qui manquait de porteurs, déposait lui-même chez ses abonnés sa petite Revue : « sa larve, » dit l’auteur. (Ce dernier terme est vraiment drôle.) Quant au reproche en lui-même, est-il bien humiliant ? On voudrait que le fait fût vrai : il ajouterait encore, il me semble, à notre gratitude. Mais ce Barbey ! Quelle verve romantique est en lui ! Quel concert retentissant de mots, d’épithètes, d’apostrophes, d’anathèmes et d’imprécations il entonne ! Finalement, tout cela est fort amusant, et pas méchant si l’on veut bien y regarder de près. On nous a prévenus d’ailleurs : « Sa critique est emportée et furieuse, pleine d’injures, d’imprécations, d’exécrations et d’excommunications. Elle fulmine sans cesse. Au demeurant, la plus innocente créature du monde <[1]. »

Donc le début de Barbey d’Aurevilly au Figaro fut éclatant. François Buloz. qui écrivait à Victor Cherbuliez : « Je vais mettre tout ceci dans les mains de la Justice, » n’y manqua pas, et au Figaro, après la condamnation de Barbey à 2 000 francs de dommages et intérêts, « l’accueil qu’on réserva au condamné retour du Palais fut plutôt froid[2] : » il dut aller ferrailler ailleurs. Nous n’y avons rien perdu, car il s’occupa ensuite de l’Académie, et l’arrangea bellement. Dans ses Quarante médaillons, quand il rencontre un écrivain qui touche de près à la Revue, il n’a garde de l’oublier, et il lui réserve ses meilleurs traits ; le pauvre Sandeau en sait quelque chose : « Comme peintre, M. Sandeau est un cataplasme assez doux pour les porteurs de visières vertes. Aussi a-t-il publié chez Buloz un grand nombre de ses romans ; » et Rémusat : « M. de Rémusat a la chlorose de l’esprit… Aussi est-il une des plumes les plus honorablement incolores de la Revue des Deux Mondes… Comme dirait M. Veuillot, M. de Rémusat est l’honneur de ce champ de navets. » « Les premières comédies de M. Feuillet furent une imitation du Spectacle dans un fauteuil. Son fauteuil était alors cette ganache de Revue des Deux Mondes, » etc., etc…

Dans le procès de la Revue contre Barbey d’Aurevilly, Gambetta plaida pour Barbey. Les deux hommes se connaissaient

  1. Anatole France, la Vie littéraire, t. III.
  2. Grêlé, ouvrage cité.