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c’était le début de Barbey d’Aurevilly au Figaro : il fut retentissant, et se termina à la première Chambre du Tribunal civil de la Seine, en novembre suivant[1].

L’auteur, comme jadis Alexandre Dumas, esquisse au début de son article un portrait du directeur de la Revue ; en deux mots il le peint (à sa manière, s’entend) : « C’est une des plus désagréables puissances de ce temps-ci, » puis il passe à l’histoire de la fondation de la Revue, explique son succès, toujours selon lui. « Il (Buloz) a bâti ce gros pignon littéraire qui s’appelle la Revue des Deux Mondes ; l’opinion, cette reine du monde, qui a ses favoris, a toujours trouvé ses bâillements infiniment plus savoureux quand ils lui venaient de la Revue des Deux Mondes. » Barbey compare aussi François Buloz au docteur Véron (ce qui n’est pas une gentillesse), attaque en passant Guizot, « rédacteur dont le genre de talent est chauve-souris pour la couleur, buffle pour la gravité ; » enfin, lui aussi, fait de François Buloz un Suisse : « Il n’est même pas Français ! » Ce reproche, nous l’avons déjà rencontré sous la plume de Balzac, et même sous celle de l’ingrate George, qui ajouta : « Qu’est-ce que cela fait d’être Suisse, pourvu que l’on ne soit point horloger ? » Le piquant de l’affaire fut qu’il se trouva quelqu’un pour répondre immédiatement à ces premières attaques de Barbey. Ce ne fut ni François Buloz, ni M. de Mars (puisqu’ils ignoraient encore la diatribe du Figaro), mais un avocat de Chambéry qui, se trouvant personnellement atteint par l’ironie du polémiste, entreprit, à l’usage de ce dernier, un petit cours de géographie : « Vulbens est en France, à 20 kilomètres de Genève ; en 1803, ce village faisait déjà partie depuis onze ans de la France. » Tout cela est assez comique… De Mars répondit le 10 mai, quelques outsiders inconnus éprouvèrent le besoin de se joindre aux premiers sujets pour attaquer ou pour défendre, et tous les deux jours, Barbey continue. Pour lui, on le sent, ces attaques sont une joie, il y accumule les griefs, il accable son adversaire : la Revue est une « boutique, » François Buloz un épicier, les infortunés rédacteurs ne reviennent de là que mutilés, dépouillés ou disparaissent à jamais. « Un écrivain charmant, continue le polémiste, a été ainsi défiguré, ruiné par la discipline de la terrible et ennuyeuse Revue. » Quel est-il cet écrivain ? — C’est Jules de la Madelène…

  1. 1863