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pas bonne. Je suis fâchée que vous n’ayez pas été sévère pour ce dernier numéro, tout à fait lâché et rempli de choses de mauvais goût. C’est égal, avec des objections que je le crois très capable de comprendre et d’écouter, l’auteur sera un romancier éminent…[1]. »

Des suppressions ? François Buloz en avait cependant exigé, et combien de sacrifices avait consentis cet auteur soumis ! La presse, en général, fut favorable au nouveau romancier ; pourtant la critique de Prévost-Paradol déplut au directeur de la Revue, qui le surveillait. Après la lecture des Débats, il s’indigna : « J’ai été bien choqué de l’article de ce très léger Prévost-Paradol sur le Comte Kostia dans les Débats, et je ne lui ai pas caché ce que j’en pensais. Que voulez-vous attendre d’un journal sans direction, et d’un jeune esprit qui vous dit sans façon qu’il n’attache aucune importance à sa critique littéraire, qu’il ne songe qu’à faire plaisir à ses amis ? » François Buloz, qui est toujours hanté par la crainte de voir ses rédacteurs le quitter pour les journaux quotidiens, profitera de cet exemple, (l’article hâtif de Prévost-Paradol,) et démontrera à Cherbuliez l’infériorité des articles publiés par les quotidiens : « Je vous l’ai déjà écrit, je crois, cette collaboration quotidienne à un journal est vraiment chose funeste pour les meilleurs esprits. On écrit une ou deux colonnes sur la première chose venue, sur le premier livre qui vous tombe sous la main, et le tour est fait ; on laisse, il est vrai, à cela, beaucoup de sa laine, comme la brebis sur le buisson, mais on n’en réunit pas moins ces bribes en volumes ! Voyez celui que vient de réunir M. Scherer. J’en suis affligé pour le penseur qui avait si bien marqué sa voie, quelle distance de ce beau travail sur Hegel à ces notes écourtées et essoufflées ! Puis je crois M. Scherer tout à fait fourvoyé quand il se jette dans les choses purement littéraires, qui ne sont pas précisément de sa compétence. C’est du moins ce que j’ai le droit de croire en lisant quelques-unes de ses notices, et en sachant ce qu’on lui prête à propos du Comte Kostia ; car il paraît qu’un critique subalterne s’étayait de l’opinion de M. Scherer pour combattre votre livre. Or, si M. Scherer juge ainsi les romans, je dis que ses opinions littéraires n’ont pas grande valeur. Voilà pourquoi je regrette qu’il descende dans une arène où il peut faire bien d’autres faux pas.

  1. 12 août 1862 (inédite.)