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Le grand bienfait des insermentés fut de ne pas plier sous le joug, de repousser la création d’une Eglise nationale, au prix de la persécution, de l’exil et souvent du martyre. L’enjeu de la lutte était digne d’un pareil effort, mais quel épuisement, quels sacrifices !

La constitution civile, qui fut un grand malheur pour l’Eglise, fut aussi un malheur pour l’Etat et fit dévier la Révolution. Par la pression exercée sur les prêtres, la Révolution en vint pour la première fois à forfaire à l’un de ses plus grands principes, à la liberté la plus sacrée de toutes, la liberté de conscience. Dès ce jour, elle est engagée dans une entreprise qui la conduira aux abimes. Devant le premier obstacle, obstacle inébranlable, qu’elle rencontre à ses volontés, la résistance des consciences, elle s’étonne, s’irrite et peu à peu s’exaspère. Les idées de liberté et de justice se voilent. Après avoir légiféré, elle sévit contre les réfractaires. Elle procède successivement par démission, expulsion, exécution, tant le fantôme de la constitution civile la hante ! Elle sera conduite par lui au 10 août, date du renversement de la royauté, devant le veto d’un prince qui ne connut la ténacité que dans la cause religieuse. On a pu se demander avec raison si, la constitution civile n’existant pas, de tels excès auraient été épargnés à la France, si les événements auraient pris une autre tournure.

C’est déjà grave pour elle qu’une pareille question puisse être posée. Ce qui est sûr, c’est que cette loi et les mesures draconiennes qu’elle inspira, répandirent des idées et des pratiques de persécution. On se fit peu à peu la main à proscrire, à verser le sang. Il paraît bien qu’aux massacres de septembre, l’éducation de la foule, tout au moins des bourreaux, est complète. Deux années vont suivre, deux années de vertige et de terreur. La secousse qui fait trembler Paris se répercute jusqu’aux plus humbles campagnes. Les haines religieuses attisent les passions qui ensanglantent la scène. Mais voici thermidor, qui emporte les acteurs les plus sinistres et sonne la réaction. Comme toujours, au drame de conscience va succéder la revanche des consciences.


Abbé A. SICARD.