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de tous ses biens, dévoré par le schisme, traqué sur tous les chemins, en marche vers la frontière ou la guillotine.

Nous ne connaissons pas, dans l’histoire de l’Eglise, d’autre exemple d’une pareille catastrophe. Elle parut si complète que les exécuteurs purent croire à l’anéantissement du catholicisme en France. Ils se trompaient. Les survivants du sacerdoce devaient rentrer après la tourmente avec des légions décimées, mais fidèles et prêtes à reconquérir les âmes.

Ce qui était grave, indépendamment des ravages faits dans les rangs du clergé, c’était la répulsion pour la Révolution, que la tragédie sanglante venait d’inspirer aux victimes qui avaient si généreusement et si sincèrement travaillé pour elle et avec elle. Les mêmes qui, dans leurs cahiers et à la Constituante, avaient aidé à l’enfantement du monde nouveau, l’entrevoyaient maintenant à travers le schisme, la ruine, l’anarchie, l’échafaud ou l’exil. C’était, dans les rangs du clergé, le danger de se détacher pour longtemps de la liberté, de ne pas distinguer entre Révolution et Révolution, de ne plus voir en elle que le caractère satanique que lui attribue J. de Maistre, et que semblait justifier sa rage antireligieuse.

Certes, les prêtres ne furent pas l’unique proie de cette Révolution, qu’on put accuser, comme Saturne, de dévorer ses enfants. Il y eut des victimes et, comme on disait alors, des fournées dans toutes les classes de la société. Les partis se déchirent, se proscrivent. Mais ces combats se livraient dans l’arène de la politique, sous le feu des ambitions et des passions qui se disputaient le pouvoir. Les combattants, tour à tour vainqueurs et vaincus, n’excitent guère notre pitié, parce que tous ont des crimes à se reprocher, et que Girondins, Dantonistes, Hébertistes, Robespierristes, ont tué avant d’être frappés eux-mêmes. Rien de pareil dans le clergé. Il s’est battu pour une cause immortelle. Rallié très sincèrement aux institutions nouvelles, il ne s’est pas sacrifié pour l’ancien régime, mais pour la défense de sa foi. Il a voulu sauver la tradition catholique, et il y a réussi. On l’a souvent dit, avec la constitution civile, l’Eglise de France était à peu près séparée du tronc, et tenait à peine à Rome par un fil que le moindre incident pouvait rompre. Le clergé, divisé en deux camps ennemis, sans cohésion, sans défense, était à la merci du pouvoir civil, et voué à la servitude religieuse que la Révolution fit peser sur les constitutionnels