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Ailleurs, le procureur de Saint-Flour dit dans un réquisitoire : « Les serments ont été rétractés avec scandale. » Dans l’Aisne, les administrateurs éprouvent un sursaut en lisant les listes de rétractations qui leur arrivent chaque jour de différents points du département. Ils font signifier aux délinquants qu’ils sont « déchus de leurs fonctions », et ne toucheront rien. Aux menaces de la faim s’ajoutent parfois les menaces pour la vie de ceux qui ont le courage de se rétracter. Le péril ne semble pas les avoir arrêtés. Dans plusieurs provinces, on constate une recrudescence de retours en pleine persécution, au moment où vient d’être votée la loi de proscription. Les évêques constitutionnels, qui ont remplacé les anciens, multiplient les remontrances pour maintenir le clergé dans leur obédience. Ces appels sont souvent sans résultat : la désertion de son clergé fut une des grandes douteurs du nouvel épiscopat. Les défenseurs de l’Eglise constitutionnelle sont exaspérés. Les violences inouïes de certains polémistes, en particulier de Gorsas, dans le Courrier de Paris, disent quelle menace pour la nouvelle Eglise ils voyaient dans ces défections.


V

Cette étude nous a permis de pénétrer dans un domaine où atteint rarement l’histoire, jusqu’aux consciences. La conduite de la Révolution dans la question de la constitution civile fut un attentat non seulement à la liberté, mais à l’âme. On a de la peine à comprendre que la Constituante, qui avait proclamé hautement la liberté des « opinions religieuses », ait donné un tel démenti à ses principes. On s’explique qu’avec la manie du serment, qui hanta dans tout son cours la Révolution, on l’ait exigé du prêtre comme citoyen en fait de lois politiques et sociales. Mais légiférer sur la religion, dans des questions de foi, prendre des sanctions contre la conscience, déposséder ceux dont le crime est de lui obéir, les pousser hors de leur église, de leur diocèse, finalement hors de la France, commettre le crime de déportation, voilà l’engrenage où furent prises la Constituante, la Législative et la Convention, par suite d’un faux départ. En moins de quatre ans, le clergé de France, si bien assis, si puissant encore en 1789, est chassé de toutes ses positions, dépouillé