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rétracte le serment. » Un jureur écrit à l’ancien archevêque de Bordeaux : « Depuis cette fatale époque, je ne goûte ni repos, ni tranquillité. J’ai beau me faire illusion, tout me reproche mon parjure, tout me crie que je ne suis plus dans la véritable voie. » Un prêtre assermenté, Bernard Lanoë, déclare : « Je me suis rendu coupable d’un crime affreux. Je me suis séparé de l’Eglise catholique, je suis tombé dans le schisme. Pénétré de la plus profonde douleur, je rétracte formellement le serment que j’ai eu la lâcheté de prêter ; je proteste devant Dieu et devant les hommes que je ne veux plus désormais connaître pour le spirituel d’autre autorité que celle de l’Eglise romaine... De tous les maux et scandales (donnés par moi) je demande pardon à Dieu du plus profond de mon cœur. »

Ces rétractations donnèrent lieu parfois à des scènes saisissantes. Dans la paroisse de Hauteville, près Valognes, diocèse de Coutances, l’intrus qui avait juré par faiblesse, mais que ses réflexions et des influences heureuses avaient amené à résipiscence, voulut donner un grand éclat à la réparation. . Un jour de dimanche, en présence du peuple, en face de son prédécesseur légitime, auquel il avait demandé de chanter la messe, il monta en chaire sans surplis et dit : « J’ai péché contre le ciel et contre vous en m’arrogeant la direction de cette paroisse... Pardon, mon Dieu, de l’outrage que je vous ai fait. Pardon, digne et vénérable pasteur, ici présent, de vous avoir enlevé vos ouailles ; pardon enfin, chers habitants de cette paroisse de vous avoir administré des sacrements sans pouvoir [1]. »

Certains de ces vaincus d’hier, aujourd’hui vainqueurs de l’erreur et d’eux-mêmes, tiennent à réparer par leur vaillance et leur prosélytisme leur faiblesse, et aussi le scandale qu’ils ont donné. A Paris, le premier vicaire de Saint-Merry, qui a prêté serment et qui s’est rétracté, écrit à son curé, jureur lui-même, une lettre admirable où parlent tour à tour le remords, le repentir, l’ardeur conquérante mêlée de tendre respect pour l’ancien supérieur qu’il voudrait ramener à la vérité et à la paix reconquise pour lui-même. « Depuis longtemps, lui dit-il, accablé sous le poids du remords, je sens qu’il n’est plus permis de tergiverser avec ma conscience ; plus mon sacrifice est pénible, plus j’espère qu’il sera méritoire devant Dieu. Toujours

  1. Le P. Bliard, Jureurs et Assermentés, p. 19, 30, 34.