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non sans scandale ? Nous apprenons par leur rapport qu’à Soulanges, à Lignon, les curés ont prêté le serment à la balustrade en levant les mains ; à Plichancourt, à la grille ; à Outines, en face de l’autel, d’autres du haut de la chaire. C’est consolant. Mais ailleurs, qu’ont-ils constaté ? A Verdey, le curé Masse n’a pas levé la main assez haut : horreur ! A La Croix-en-Champagne, le curé est plus coupable encore. Le dimanche, 10 février, à l’offrande, « tenant un papier des deux mains, sans en vouloir lever une », il a aggravé cette réticence du geste par une déclaration et peine entendue, mais certaine, « qu’il jurait de maintenir la constitution en cas que cela ne fasse aucun tort à la religion [1]. »

Un témoin peu suspect, Grégoire, qui a été curé et qui, à travers ses fautes, déploya souvent un grand courage pendant la Révolution, confirme l’attitude hostile de nombre de maires et des agitateurs dans la question du serment. Il montre déjà en 1790 et plus encore en 1791 ses anciens confrères poursuivis avec un « acharnement aussi lâche que cruel. » Gravures, comédies, chansons, couplets, rien, dit Grégoire, n’a été épargné par les libellistes pour attiser la haine du peuple. On s’est fait un plaisir barbare d’agiter sur eux « les grelots du ridicule », de déverser à pleines mains le fiel de la calomnie. On les a livrés presque partout à la dérision, aux insultes, à la rage. Eux, les pères du peuple, sont poursuivis jusque dans les temples, devenus en plusieurs départements, depuis que l’on y fait les élections, le « théâtre des cabales, des blasphèmes, des fureurs sanguinaires. » Quelle tristesse de voir tant de « curés et de vicaires sans ressources, sans crédit, en proie à la misère, à la dérision insultante ! » Si ces malheureux ont rencontré protection dans quelques administrations municipales, « dans mille autres, dit Grégoire, ils n’ont trouvé que des bourreaux en écharpe. » Quel tableau ! et il n’est pas chargé. Les Mémoires du temps font foi que les meneurs ne reculaient pas devant le crime. A Fertars, dans le Doubs, pendant que le curé en chaire explique les raisons de son refus, un des assistants tire sur lui et le manque. A Septsaux, en Champagne, l’assassin fut plus habile. Le curé, qui développait les raisons de ne pas prêter serment, reçut une balle en plein cœur et tomba raide mort.

  1. Cf. Abbé Millard, le Clergé du diocèse de Châlons-sur-Marne, 1903, in-8, passim.