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Le maire, voilà l’homme qui, en l’affaire du serment, jouera le grand rôle dans les campagnes. Avec lui et au-dessus de lui, le procureur syndic du district va exercer une action plus large dans l’arrondissement. On pourrait s’étonner de la pression que les fonctionnaires appartenant la plupart, à cette époque, aux familles distinguées du tiers-état, à la bourgeoisie, voulurent exercer sur les curés. Beaucoup de prêtres, recrutés dans la classe moyenne, dans des milieux assez relevés, comptaient des parents, des amis parmi les maires, les juges de paix, les membres des tribunaux, des conseils généraux et des directoires. Comment s’expliquer leur rigueur envers des proches, des amis ? C’est que la plupart ne comprirent pas les motifs de la résistance du clergé ; c’est aussi parce qu’ils firent passer le devoir professionnel avant toute autre considération. Quelques-uns, nous le verrons, mirent une véritable cordialité à convaincre les réfractaires pour leur épargner la rigueur de la loi, et une grande indulgence dans l’interprétation de leurs réponses, mais l’attitude, chez beaucoup, fut stricte, chez plusieurs impitoyable.

Parmi toutes les autorités locales, le procureur syndic du district joua un rôle très important. Les procès-verbaux le montrent toujours en mouvement, parcourant avec une activité fébrile la circonscription, excitant les maires, mettant son honneur, son orgueil, à obtenir des adhésions, et pour cela multipliant chez les prêtres les visites, les arguments, les sollicitations, les objurgations, même les câlineries de l’amitié, et, en désespoir de cause, employant le grand moyen, les menaces, y compris celle d’une misère prochaine par la suppression du traitement en cas de refus. Ces missionnaires laïcs du serment ont parfois la chance de rencontrer des collaborateurs précieux chez des curés qui, l’ayant prêté pour eux-mêmes, se font rabatteurs auprès de leurs confrères, soit par conviction, soit pour rassurer leur conscience par le nombre de leurs imitateurs.

Les archives ont conservé le nom de ces magistrats particulièrement entreprenants et fiers de leurs succès. Dans le diocèse de Châlons-sur-Marne, le syndic Gilson, après avoir écrit lettre sur lettre, a réussi auprès des prêtres Jacquesson et Labbé ; il annonce le serment prochain des curés de Verrière et de Passavant. Dans la région de Sézanne, le procureur syndic Royer, à la fois avocat et notaire, n’est pas moins agité, et fait surtout valoir, lui aussi, comme argument la menace de la suppression