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situation. Celle-ci paraissait avoir grandi moins, par ce qu’ils avaient obtenu eux-mêmes que par ce qu’avaient perdu les évêques, les abbés, les chanoines, ces privilégiés de l’ancien régime. Il n’y avait plus de bas clergé, plus de curés à portion congrue. Leur traitement était de 1 200 francs. Il allait être perdu pour ceux qui refusaient le serment. Ils ne pouvaient espérer qu’une pension aléatoire de 500 francs. Le district, au reçu du procès-verbal d’une réponse négative ou insuffisante, ne manquait pas de leur en signifier la suppression, ce qui fit revenir quelques-uns sur leur décision.

Heureusement, combien nous avons à enregistrer de déclarations dédaigneuses de tout intérêt humain ! « Puisqu’il faut choisir, dit le curé de Vauchamp, je choisis plutôt les tourments de la faim que les remords déchirants de la conscience. J’aime mieux mourir innocent que de vivre coupable. Du moins, dans mon infortune, j’aurai la consolation de pouvoir me dire à moi-même que je n’ai point péché contre la loi, ni contre César. J’ai juré d’être fidèle à la patrie, je ne suis dépouillé que pour avoir ajouté que je serai fidèle à Dieu et soumis à l’Eglise catholique. » Et cette déclaration concise, tranchante, du curé de Warloy-Baillon, en Picardie ; « Il y en a qui font le serment parce qu’il faut vivre, et moi je le fais avec restriction parce qu’il faut mourir. »

Parfois, les interrogés exposent plus longuement les motifs de leur refus et le combat intérieur qu’ils ont à soutenir. Le desservant de Pargues, en Champagne, répond à la municipalité : « Je vais être honteusement chassé... Je serai bientôt exposé aux horreurs de l’indigence, au mépris et peut-être à la persécution... Mais ne me trouverais-je pas encore dans un état plus triste si je venais à céder contre ma conscience à la crainte d’un avenir inquiétant ? Le remords dont je serais dévoré, les jugements du Seigneur, que j’aurais à craindre, tout cela n’est-il pas capable de me faire envisager comme incomparablement plus affligeante la situation où je serais réduit en méprisant la voix du sens intime ? »

Dans cette lutte entre l’intérêt et le devoir, les jeunes, plus rapprochés de leurs promesses cléricales, mieux protégés d’ailleurs par l’insouciance de leur âge, mieux armés contre les soucis du lendemain, firent parfois la leçon aux anciens. Un curé des environs d’Evron avait fait en chaire une lecture qui impliquait