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L’insistance des fidèles est parfois plus émouvante que la pression de la famille. Dans une commune des environs de Vervins, tous les paroissiens, hommes, femmes, enfants, sachant que le curé est contre le serment, accourent à l’église, au jour marqué, et le supplient de le prêter. Le prêtre ne peut opposer que son silence à ces instances et à ces larmes. On lui demande de le faire avec des restrictions qu’il ne peut accepter. Ce sont des sanglots. Ces braves gens jurent de le défendre et de ne pas reconnaître d’autre pasteur.

Les séparations sont douloureuses. Dans la capitale, le curé de Sainte-Marguerite, doyen des curés de Paris, de Laugier de Beaurecueil, lutte contre les calomnies qu’on répand au sujet des refus de serment. Ce n’est ni l’intérêt, ni la politique, mais sa foi qui le guide. Ce qui le tracasse, c’est le péril des âmes, surtout de ceux qui, parmi ses paroissiens, passent à l’ennemi. « Si j’ai pleuré, dit-il à ses fidèles, j’ai pleuré sur vous et non sur moi. » Aucun motif humain ne l’inspire. La vie elle-même ne lui tient à rien. Il sait son âge. « Le tombeau, ajoute-t-il, est entr’ouvert sous mes pas, et je soupirerais encore après une ombre qui va m’échapper ! » Ce qui le déchire, c’est d’avoir à quitter son troupeau. Il pleure sur les transfuges et sur tous ceux qu’il va quitter : « Vous, leur dit-il, qui fûtes longtemps le tourment de mon zèle... , vous que j’ai presque tous vus naître et qui me devez vos premiers principes de religion, vous que je chéris comme un père chérit ses enfants ! Infortuné, après tant de veilles, après tant d’années d’un ministère pénible, devais-je attendre que la fuite et la misère deviendraient mon partage ? » Interpellant alors les meneurs qui, « séparant l’Eglise de France de son tronc antique, ont mieux aimé la scier en deux que d’accorder un délai de quelques jours », il crie aux responsables de l’iniquité, et parlant des sacrifiés : «. Arrêtez, barbares, ils sont vos frères et ils furent vos bienfaiteurs. »

Le cœur a parlé. Voici l’intérêt, ou plutôt le sentiment de sa propre conservation, qui dit son mot dans les délibérations de la conscience. Comment demander à des hommes, dont beaucoup sont des vieillards, de ne pas envisager, ne serait-ce que d’un regard furtif, la misère qui sera la conséquence de leur refus ? La Révolution avait paru préoccupée de la situation temporelle des curés. En fait, elle n’avait guère amélioré leur