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dans le tourbillon d’opinions contraires, c’est parmi les ombres projetées sur le débat par les arguments et les exemples des partisans du serment, sous la pression des amis et des proches, des affections et des intérêts, qu’il s’agit de se faire une opinion, une conviction, et de prendre une détermination dont les conséquences seront irréparables. Si elle est contraire au décret, il faudra la produire au grand jour, en pleine église, devant des magistrats qui veulent faire appliquer la loi, devant un peuple partisan du serment, parce qu’il n’en comprend pas la culpabilité, parce qu’il aime son curé et que c’est la condition de le garder. Un refus, de sa part, qui paraîtra une révolte contre la nation et une trahison de la cause populaire, va bouleverser les sentiments, et peut tourner la sympathie de la veille en haine du lendemain.

Ce n’est point là une peinture fantaisiste. Toutes les déclarations que nous allons entendre au sujet du serment, tous les documents de l’époque confirment notre récit et l’assombrissent. « Pendant plus de deux mois, écrit un contemporain, dans toute l’étendue de la capitale et des provinces, les jours de fête furent pour les pasteurs de vrais jours de supplice, et l’imagination ne suffit pas à se faire une idée de toutes les tentatives, de toutes les persécutions, de toutes les sollicitations auxquelles il fallut résister. Aux approches du jour marqué pour la fatale épreuve, tantôt ce sont des bandes envoyées par les clubs pour apprendre au pasteur le sort qui l’attendait s’il refusait ; tantôt c’étaient les prières, les instances de parents, d’amis intéressés cherchant à le séduire. Dans son propre cœur, c’était l’affection même, l’habitude de vivre avec une paroisse dont il avait jusqu’alors la confiance, et qui l’aimait encore, mais que les décrets avaient séduite et qui allait ne voir en lui qu’un ennemi. »

Mais trêve aux hésitations. C’est le moment d’opter. La cloche du village, de la ville, annonce par son dernier tintement que l’office commence. Tous les paroissiens sont à leur place, attirés par ce spectacle d’un nouveau genre, avides de voir l’attitude de leur pasteur, souvent divisés eux-mêmes d’opinion et de parti. Nous devinons le combat intérieur qui se livre dans l’âme de ce prêtre, où la pression du dehors, les liens de famille, l’amour du clocher, la crainte du changement, du lendemain, de la misère, cherchent à endormir sa conscience, et lui prêchent la capitulation. Que répondra le patient