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jours d’angoisse. A Besançon et dans d’autres chefs-lieux, on a vu une procession de prêtres venir demander au directeur du séminaire des lumières et des décisions. Dans les presbytères des villes et des campagnes, l’agitation est extrême. Les réunions du clergé environnant y ont été nombreuses et ardentes. Les opinions contraires ont eu leurs protagonistes, et la discussion a été d’autant plus passionnée qu’il y allait de la conscience de chacun et de l’avenir de toute une vie. On se quitte trop souvent sans s’être entendus, raidis encore par la vivacité de la contradiction.

Voici la date solennelle. Le jour et l’heure du serment sont arrêtés. Toute la paroisse est en émoi. Dans les allées et venues du presbytère, j’aperçois, outre les pieuses femmes, des hommes nombreux qui apportent leurs avis et leurs instances. Plusieurs sont pour les curés des amis, des camarades, des parents. J’y distingue les notables de l’endroit, des membres du conseil de la commune, le maire lui-même. Ils parlent, ils pressent. Ils jugent en citoyens fiers de la Révolution, et très fortement en garde contre toute apparence de réaction, contre tout réveil d’ancien régime. Ils ne comprennent rien à ces polémiques religieuses, à ces distinctions entre l’ordre et la juridiction. Ils voient dans la nouvelle délimitation des diocèses et des paroisses, dans l’élection des évêques et des curés, la suppression d’abus cent fois dénoncés. Quant au Pape, dont ils n’ont pas beaucoup entendu parler, qu’ils ne connaissent guère que pour lui payer les annales et les dispenses, ils se contentent de le vénérer. Pour eux, observateurs de la loi et même gardiens de la légalité, l’Assemblée nationale ayant décrété, il n’y a qu’à obéir.

Le prêtre écoute, parle peu et réfléchit. Où est la vérité, où est le devoir ? Ceux qui préconisent le serment auraient-ils raison ? S’il est si mauvais, pourquoi le pape ne l’a-t-il pas encore condamné ? Pourquoi un roi pieux, Louis XVI, qui a deux prélats ministres dans son conseil, l’a-t-il sanctionné ? Les évêques de France, qui le combattent en masse, n’obéissent-ils pas, peut-être à leur insu, à des préjugés de caste, à des impulsions nobiliaires ?

Ne jugeons pas d’après le clergé actuel la mentalité de l’ancien clergé de France, que la théologie et les habitudes gallicanes tournaient moins vers le pape, et qui cependant allait mourir pour le défendre. C’est dans le feu du combat,