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en établissant dans le fonctionnement de l’Eglise de France l’égalité dont vient d’être dotée la nation. Désormais, pour être évêque, grand vicaire, chanoine, il ne sera pas nécessaire de montrer des quartiers de noblesse. Ces bienfaits dus à la Révolution ne sombreraient-ils pas avec elle ? La constitution civile du clergé était bienveillante pour les curés. Dès lors, lui refuser serment, c’était la méconnaître et froisser la Constituante. Décision grave en une nation habituée depuis des siècles à obéir au pouvoir, en face d’une Assemblée nationale devant laquelle depuis deux ans s’inclinait la royauté elle-même.

Les opposés au serment vont avoir contre eux non seulement les législateurs, les tribunaux, l’administration, mais encore l’opinion : hommes de lettres, journalistes, philosophes, avocats, et même la grande majorité de la bourgeoisie et du peuple. Avoir pour ennemie l’opinion, c’était grave, car jamais elle ne fut à ce point souveraine. N’est-ce pas elle qui a fait la Révolution, qui rend la Constituante toute-puissante ? Que peut-on faire malgré l’opinion, en ce temps de liberté fraîchement reconquise ? Les prêtres refusant le serment seront traités de réfractaires, verront se tourner contre eux l’opinion et perdront leur popularité. Oh ! ces souvenirs de 1789, la fusion des esprits et des cœurs, les acclamations du clergé par le tiers-état, les prêtres connaissant tous les enivrements de la popularité ! Vont-ils la perdre et, après la joie d’être aimés, connaître toute l’amertume de la haine ? Oui, cela sera, et cela sera par suite de la constitution civile.

Avec le revirement-de l’opinion, l’impopularité sera complète et terrible. Les prêtres, qui auront refusé le serment pour ne pas trahir leur conscience, vont être accusés de trahir la liberté. Cette époque imbue d’esprit révolutionnaire est déjà trop atteinte dans sa foi pour comprendre que le clergé puisse tout risquer, situation, repos, avenir, popularité, pour des motifs purement religieux. Aussi va-t-elle en chercher d’autres. Quelques détracteurs mettront même en avant, sans y croire beaucoup, des raisons de politique, d’intérêt, la rancune d’avoir perdu les anciens honneurs et la richesse.

Être ainsi victimes de la calomnie, perdre la popularité et avec elle le cœur, la confiance du peuple, c’est grave, surtout pour ceux qui ont à se les concilier. L’épreuve sera d’autant plus douloureuse que les accusés vont connaître la désaffection.