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leur programme ne contenait qu’un mot : Italie. Telles sont les origines du fascisme, phénomène sans analogie dans les autres Etats de l’Europe. La bourgeoisie, qui avait été d’abord terrorisée, et n’opposait aucune résistance aux ferments anarchiques, a compris que son salut était lié à celui de ces courageux. Elle leur a prêté son aide matérielle, elle leur a donné ses fils. Tous ensemble, ils sont cinq cent mille maintenant ; ils sont la Force.

Seulement, la violence engendre la violence ; les méthodes hors la loi fondent le règne de l’illégalité. Les révolutionnaires essayent de reprendre leurs positions, et organisent à leur tour une force, les « arditi del popolo, » les « hardis du peuple, » en face des fascistes. Il était impossible, semble-t-il, de rétablir l’ordre sans faire couler le sang ; mais le sang continue de couler, maintenant que l’ordre est rétabli. Il y a là un danger qui persiste : car que deviendrait l’Etat dans cette lutte, s’il demeurait impuissant à ressaisir son autorité pour imposer la paix ?

Tout cela se mêle et s’enchevêtre dans le présent, aigreurs et repentirs, élans et ardeurs juvéniles, tressaillements et sursauts. Une chose est sûre : l’Italie s’est reprise par sa vertu propre ; le moment de la crise est dépassé ; une grande source d’énergie et d’activité est prête à s’épancher. Mon jeune ami Florentin avait raison ; il vaut la peine d’étudier de plus près cette âme palpitante et frémissante ; il faut la voir dans un cadre moins étroit et dans un plus vaste décor. La Toscane ne traduit pas toute l’Italie ; je partirai demain pour Milan.


PAUL HAZARD.