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du régime soviétique, comme s’il s’agissait d’un territoire conquis qu’il fallait maintenant administrer ; elle a eu beau intensifier par tous les moyens sa propagande. Le peuple italien, — un de ceux qui ont le plus durement souffert au cours de la guerre, et victime d’une illusion qu’explique sa souffrance même, — a pu projeter sur la Russie lointaine et mystérieuse son rêve éternellement renouvelé d’une vie meilleure ; il a pu entourer l’image de Lénine d’une auréole, avec une candeur qu’aucun témoignage n’a réussi à convaincre, comme il attendait autrefois des saints surgis des campagnes l’avènement du paradis. La littérature russe, accueillie en Italie avec une ferveur particulière, a pu déverser sur le pays, par des traductions multipliées, ses livres si troublants et si beaux, pleins de pitié humaine, et s’attendrissant sur nos misères comme s’ils les chérissaient trop pour les vouloir guérir. Mais pour que le sort de la Russie eût menacé vraiment l’Italie, il eût fallu que les deux âmes fussent pareilles. Or celle-ci est, aussi saine que l’autre était malade, aussi vigoureuse que l’autre était faible. Ses transports viennent d’une exubérance de vie. Elle a besoin de s’épancher d’abord, et ses excès sont quelquefois redoutables. Mais ils passent vite ; et elle revient à sa qualité dominante, qui est le bon sens. Un grand bon sens pratique : voilà ce qu’à travers toute son histoire ses psychologues retrouvent en elle. Il en va de la vie publique comme de la vie privée ; les individus se laissent aller tout entiers au premier mouvement de leur passion ; mais ils ne vont jamais si loin qu’ils ne puissent revenir à la raison, assez vite. Une discussion ne commence pas ici dans le calme pour aller peu à peu jusqu’à la colère ; elle commence par la colère pour finir dans le calme. D’abord on manifeste ses sentiments avec fougue : on s’explique ensuite. Ainsi l’âme italienne, violemment émue par la guerre, s’est jetée d’abord vers les extrêmes ; quelques mois lui ont suffi pour revenir au sens très précis des réalités. Elle oscille souvent ; elle retrouve son équilibre toujours.

De l’organisme national un moment menacé, une volonté de vivre s’est dégagée, qui est devenue le salut. Les anciens combattants, unis en faisceaux, ont voulu défendra les principes de l’intervention, les sacrifices de la guerre, et les fruits de la victoire. Puisque l’Etat était incapable de réagir lui-même, ils ont agi pour lui. Ils ne formaient aucun parti politique et