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accueilli avec l’indulgence qu’on lui témoigne en d’autres pays ; il répugnerait. Il arrive aux paysans de boire quelques coups de leur vin généreux, mais c’est toujours du vin ; l’apéritif ou le petit verre sont des produits d’importation qui ne conquièrent pas la faveur du peuple. A mesure qu’on s’avance vers le midi, cette sobriété est plus frappante encore. Des sirops, des glaces, des cafés, de la bière quelquefois, contentent la soif. En Piémont, en Lombardie, l’abstinence est moins parfaite ; on se rapproche davantage dans ce climat plus rude des usages du Nord. Mais nulle part l’ivresse n’est un vice national. Ainsi la race est à l’abri des tares de l’alcoolisme ; elle garde mieux que d’autres sa force et sa pureté.

La barque est toute voisine. Elle va passer sous le pont d’où je l’observe. Où ai-je déjà vu cette figure ? Il me semble que je la reconnais. J’y suis : c’est un Donatello. Ainsi vous apercevrez, au détour des rues, quelquefois, un profil de Botticelli ou de Ghirlandajo ; comme vous retrouverez dans la campagne les collines arrondies et les arbres grêles des Primitifs.


Florence, 19 septembre.

D’après ce que j’entends et ce que je vois, je commence à me former une opinion plus nette.

L’âme italienne, vive et mobile, a déjà passé par plusieurs phases depuis la guerre ; le présent est fait de ces apports successifs.

Ce qu’il ne faut jamais oublier, si nous voulons juger cette âme si différente de la nôtre autrement qu’avec nos habitudes et nos préjugés, ce sont les conditions de la guerre elle-même. Celle-ci a été voulue, dirigée, menée jusqu’à la victoire, non par une nation menacée dans son être même, mais par des minorités qui ont su rallier un peuple hésitant, et le faire pencher du côté de la justice et du droit. Il y a eu un miracle italien, qui a été l’intervention de l’Italie à côté de l’Entente, malgré les efforts de l’Allemagne son alliée. Il serait injuste de ne pas garder une estime reconnaissante pour tous les artisans de cette victoire morale.

Mais ces minorités se sont dissociées trop vite. Sur la question de Fiume, les patriotes les plus convaincus se sont aussitôt divisés, les moins nombreux prêchant la « renonciation, » les autres faisant de la possession de la ville adriatique le signe