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Les répliques se croisent.

— On aurait pu, dit celui-ci, qui a longtemps séjourné à Paris, accentuer le caractère international de l’hommage rendu au grand poète. C’est la première fois depuis la guerre que l’humanité entière, neutres et belligérants, vainqueurs et vaincus, retrouve la paix de l’esprit : quelle gloire pour l’Italie si on avait su mieux marquer son rôle dans cette grande union enfin retrouvée ! On a essayé de le faire aux fêtes de Ravenne ; on ne l’a pas fait à Florence.

— Nous avons répété, dit cet autre, des rites trop connus. Entre nous, il faut avouer qu’on nous a un peu saturés de Dante.

— On n’a pas atteint le peuple, dit celui-là. Il a fort apprécié le cortège historique, parce qu’il lui rappelait un défilé de cinéma. Mais il a assisté aux fêtes en curieux, assez amusé et un peu sceptique, comme toujours.

— Au moins eût-il fallu que quelque grand poète fit entendre sa voix ; d’Annunzio. Mais il n’a pas voulu. Et qui pourrait prendre la parole, quand d’Annunzio a refusé ?

— La vérité, dit le peintre en résumant, est que les fêtes ont été tout ce qu’elles pouvaient être. Nous leur avons donné l’attention et le respect que nous accordons au passé. Mais l’avenir nous préoccupe davantage. La partie vivante des fêtes de Dante, ce sont les applaudissements au Roi, la participation des socialistes au cortège, et le salut de tout le peuple au drapeau national.


Sur l’Arno.

Sur les eaux jaunes de l’Arno glisse une barque qui vient de passer sous l’arche du Ponte Vecchio. Elle est montée par un adolescent au torse nu ; il la pousse en s’appuyant sur une perche qu’il plonge jusqu’au lit du fleuve. Le mouvement est harmonieux, le rythme aisé, sans à-coups ; on devine le plaisir d’une force qui se détend sans s’épuiser, et qui fait du travail un jeu.

Il approche ; on commence, en regardant bien, à discerner sa figure. Elle est fine, et cependant bien virile ; la bouche et le nez sont délicats, le menton volontaire. Les bras sont vigoureux. C’est un beau type d’une belle race, équilibrée, saine. La sobriété est remarquable ici. Vous ne rencontrez d’ivrogne que par une très rare exception ; le spectacle d’un homme à hoquets, qui vacille sur ses jambes et trébuche, ne serait pas