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avec une rare bonne grâce, a bien voulu réunir sa colonie, nous admirons ces vaillants guerriers.

Nous n’avons rien chez nous qui équivaille à ce culte de Dante. Aucun de nos écrivains ne s’est imposé tout à fait comme le symbole indiscuté de la race. Ni Pascal, ni Molière, ni Voltaire, ni Hugo, n’ont d’autels où communient tous les Français sans exception. On ne peut même pas dire que Shakspeare en Angleterre corresponde à Dante en Italie, puisqu’ici, Dante a servi de mesure aux progrès de l’esprit national : le célébrer, c’était commencer à fonder la patrie, du milieu même de l’asservissement ; l’oublier, c’était renoncer à l’espoir de l’unité. Aujourd’hui, l’Italie ayant atteint les limites que le poète lui-même avait tracées à son territoire, le culte est devenu apothéose. A-t-elle été aussi éclatante qu’on l’eût souhaitée ? La question est délicate ; je l’entends discuter par un groupe de jeunes artistes, plus riches d’espoirs que de deniers, et plus critiques qu’indulgents, dans l’atelier d’un peintre florentin, au milieu des toiles et des esquisses.

Il me semble, pour mon compte, que les fêtes ont été fort belles. Les discours ont été sobres et justes ; on a même eu la sagesse de n’en pas prononcer, pendant la cérémonie de Santa-Croce ; cette défaite de la rhétorique vaut qu’on la signale. Le livre dont on a fait hommage au Roi, au Palazzo Vecchio, est le texte critique des œuvres de Dante, enfin établi : c’est la preuve d’un long effort mené jusqu’à l’aboutissement. On a inauguré à la bibliothèque Laurentienne, une exposition d’ouvrages dantesques : autre labeur durable. La visite aux monuments restaurés, sous la conduite éclairée du maire de la ville, fut mieux qu’une promenade de haut goût. Partout où on le peut, on fait disparaître les décorations parasites, les contre-sens architecturaux, les horreurs de toute espèce dont le temps avait affligé les maisons, les palais, les églises de l’époque de Dante ; de sorte que les fenêtres reprennent leurs lignes pures, les portes retrouvent leur ampleur, le style réapparaît : les édifices voisins ont des airs. de parvenus, à côté de ces façades de noble lignée. On continuera cet effort, avec l’aide des habitants de bonne volonté : quoi de plus beau ? L’admiration n’est plus ici un vain mot ; elle se traduit en œuvres qui demeureront ; elle provoque le respect de l’histoire et la résurrection du passé.