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du pont ; on lui écrase les mains, jusqu’à ce qu’il desserre son étreinte et tombe : quand un tel fait s’est-il passé ? Au treizième siècle ? Hier ? — Un jour d’émeute encore, en pleine assemblée communale, on tue un des représentants de la minorité, blessé de guerre et mutilé ; à quel moment ? Hier ? Au temps des seigneurs de Capraia ? Alors, comme aujourd’hui, il n’était personne qui ne portât sur lui des armes. Alors, comme aujourd’hui, on publiait contre ceux qui portaient des armes des édits qu’on n’observait pas. Alors, comme aujourd’hui, des citoyens venant de diverses cités se réunissaient, partaient en hâte pour que leur dessein ne fût pas devancé, fondaient sur leurs ennemis, saccageaient ou brûlaient leurs maisons, et s’en retournaient chacun chez soi. Alors aussi les chefs de partis s’entendirent, pour faire cesser ces expéditions qui, de vengeance en vengeance, engendraient des meurtres à l’infini.

Peut-on voir, dans la crise qui va s’apaisant, des analogies avec la tradition italienne du Moyen Age et de la Renaissance ? Non sans doute ; il ne faut rien dramatiser.


Monte Lupo.

L’Albergo del Moro me séduit par son nom et par son aspect paisible. Quand on a erré longtemps par les rues, sous l’œil des perruquiers qui flânent devant leur « salon » vide, des cafetiers qui regardent à travers leurs carreaux, du marchand de châtaignes qui crie sa marchandise chaque fois que vous passez, des femmes assises sur leurs portes qui tissent inlassablement de longs rubans de paille, on se sent las et on a besoin d’ombre. On croise des ouvriers vêtus de haillons, non rasés, aux souliers sans cirage, et qui ont avec cela l’air de grands seigneurs, tant ils portent avec grâce leur veste jetée sur une épaule et leur feutre retroussé. On a risqué d’être écrasé par les chevaux fous qui traînent à toute allure leurs charrettes rouges, et foncent sur les passants. On retombe dans les mêmes rues, elles ne sont pas nombreuses. On est connu de tous les gamins. Rien d’autre à faire que d’entrer à l’Albergo del Moro.

J’ai mal choisi. Trop de mouches y dansent gaîment à travers les rais du soleil. Les tables, le buffet, les chaises, sont vulgaires ; aucun de ces meubles anciens que l’étranger en voyage a le vague espoir de trouver encore dans les bourgs écartés. Le principal ornement des murs est constitué par une réclame