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nous verrons bien si je sais encore distinguer les plants américains des produits du pays. Nous mangerons sur l’arbre les figues mûres. Peut-être quelque paysan aura-t-il trouvé sous la terre une statuette étrusque, dieu de bronze réveillé de son sommeil millénaire ; un vase ; une coupe ; une lampe ; une fibule. Sinon, nous irons chez Cristina, la marchande qui ne manque pas d’antiquités bien imitées, statuettes ou tableaux ; elle en a même quelquefois de vraies. Nous bavarderons sur la place du Dôme, dans un décor de pierre qu’aucun décor de théâtre n’égala jamais. Ce soir, le voyageur doit être fatigué, il a besoin de repos.

Avant de prendre les chandeliers, et de gagner les chambres rustiques crépies à la chaux, on va dans le jardin. La nuit est transparente ; le ciel est délicat et tendre ; on devine le paysage sans le voir ; les masses sont fondues et paraissent aériennes, sans contours. Très haut, et comme suspendues en l’air, les lumières de San Gimignano scintillent. Très loin, dans la campagne, un grand feu d’herbes sèches tord sa flamme rougeâtre. Une cloche se met à sonner, et lorsqu’elle a fini d’égrener sa plainte, on n’entend plus dans le grand silence nocturne que la musique éperdue des grillons.


Capraia, 13 septembre.

C’est, au bord de l’Arno, un bourg sur un roc. Les maisons se hissent sur la pente raide, en des attitudes bizarres, comme si elles s’aidaient l’une l’autre à gravir cette cime faite pour des chèvres. Les passages se glissent sous les voûtes, les escaliers surplombent les portes, les pauvres architectures se chevauchent et s’enchevêtrent. Je grimpe, non pas en tournant, ainsi qu’on fait pour tromper les collines, mais tout droit, par des chemins étroits qui sont des escaliers de pierre. Arrivé au sommet, sur la place biscornue où s’effrite une église fanée, je domine toute la plaine, les courbes molles de l’Arno, les lignes fondues du doux paysage toscan, le cercle des collines lointaines.

Ce devait être une ville inexpugnable autrefois. Vue d’en bas, elle semble inaccessible. Elle est ceinte, vers le haut, d’un boulevard massif sur lequel les siècles n’ont pas mordu, ciment indestructible et rochers immuables. Au sommet, une tour crénelée rappelle l’ancienne force et l’ancienne gloire. Les fenêtres ont des airs de meurtrières, serrées dans leurs murs épais.