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à partir de ce jour que l’ordre a commencé à se rétablir. Les léninistes sont restés sous l’impression de la menace : ils croyaient toujours que les fascistes allaient revenir. Un matin, on voit de loin un camion dans la plaine ; les femmes s’émeuvent, les hommes jugent prudent de déguerpir dans les champs. Or, c’était un camion chargé de bois. On a bien ri ; car personne n’est plus railleur qu’un Toscan, pas même un Français.

— Il y a là quelque chose que je ne comprends pas, unirait qui me déroute. Pourquoi les communistes tremblent-ils ainsi devant les fascistes ? On trouve des gens courageux parmi les premiers comme parmi les seconds. Comment ne résistent-ils pas ?

— A vrai dire, le sang a coulé. Ce fut après les élections municipales de décembre 1920, qui donnèrent la majorité aux extrémistes. On avait abattu le drapeau national, et hissé le drapeau rouge à la mairie. Le dimanche qui suivit, les fascistes revinrent, firent enlever le drapeau rouge, commandèrent d’arborer aux fenêtres le drapeau tricolore ; on obéit. Il y eut des querelles toute la nuit. Le lundi, dès l’aube, les fascistes s’étaient postés sur les routes, arrêtaient les passants, et déchiraient les cartes du parti socialiste quand ils en trouvaient sur eux. Un paysan résista et leva sa hache ; les fascistes le tuèrent à coup de revolver. Mais en général, on cède. Voici : les fascistes, jeunes gens pleins de fougue ou anciens combattants, sont prêts à sacrifier leur vie pour le principe qu’ils défendent, et d’où dépend l’existence même de la patrie. Les extrémistes, au contraire, tiennent par-dessus tout à leur existence. A quelques exceptions près, il n’ont guère d’autre idéal que de se mettre à la place des riches. Comment risqueraient-ils leur peau ? Ils se recrutent en partie parmi ceux qui ont été déjà les mauvais soldats, les déserteurs, les lâches ; parmi ceux qui ont préféré une première fois, au moment de la grande épreuve, leur salut immédiat au sacrifice de soi. Pour les autres, ceux qui, logiquement, devraient être aussi courageux que les fascistes, il faut expliquer leur cas par la surprise, par la panique. Peut-être les choses ne se passent-elles pas ainsi partout ; c’est ainsi qu’elles se sont passées à San Gimignano...

Demain, nous irons regarder les peintures de Benozzo Gozzoli, et d’autres qu’on vient de trouver sous une couche de plâtre, au Municipio. Nous irons faire le tour des vignes, et