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légères et haut perchées des paysans. Les paysans font claquer leur fouet ; les grelots sonnent ; et la poussière s’élève par tourbillons.

Au delà de la route, doucement, en bon ordre, vignes et oliviers montent à l’assaut de la colline onduleuse. Le vert argenté des oliviers, le vert plus sombre des vignes, marquent les files et distinguent les bataillons, qui s’accrochent à la terre grise. Sur la cime, quelques cyprès, droits et nets, profilant sur le ciel leur silhouette noire, prêtent une note de mélancolie à toute cette grâce souriante.

Vers la gauche, sur un éperon, San Gimignano plante solidement ses murs et ses tours carrées. On dirait une forteresse où veilleraient des géants. Malgré l’architecture massive de ces tours, l’ensemble n’en conserve pas moins une svelte élégance. Dispersées ou serrées l’une contre l’autre, leur ordonnance est capricieuse. Une couleur rouillée les patine ; le soleil les dore ; altières, elles sont les reines de l’horizon.

Je suis arrivé dans la nuit. A la gare de Poggibonsi, on devait attendre deux heures l’automobile qui parcourt maintenant, comme un monstre difforme, ces routes paisibles qu’il émeut. Il valait mieux prendre la carriole et gagner San Gimignano par ce moyen primitif et délicieux. Nous nous sommes serrés sur les banquettes, jusqu’à treize voyageurs ; alors il a fallu que le dernier monté se résignât à descendre ; le poids n’y faisait rien, mais le chiffre était dangereux. On a installé sur le toit frêle des valises vénérables, des paniers, des paquets enveloppés de mouchoirs éclatants, et trois volières. Et gaiment, on a mis en route les deux petits chevaux qui nous traînaient. Mais on s’est arrêté bientôt ; on avait oublié d’ôter l’eau des mangeoires, dans les cages ; et il pleuvait sur la tête d’une jeune fille qui riait.

Tout ce monde était bavard, joyeux, pétillant. Il y avait là trois jeunes gens qui parlaient avec mystère de ce qui allait se passer le lendemain à Poggibonsi ; ils gagnaient San Gimignano, pour ne retourner dans leur bourg qu’après deux jours passés. Les allusions devinrent bientôt si claires, qu’il fut impossible de ne pas comprendre, fût-on obtus, qu’il s’agissait de trois jeunes révolutionnaires : prévoyant une incursion fasciste, ils préféraient vider la place, par dignité. Ces révolutionnaires étaient de fort bons diables, gais et spirituels à souhait.