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ardeur à manifester leurs opinions, à applaudir ou à siffler ! J’ai voulu voir un combat de boxe, l’autre jour, à Rome ; parce qu’un des champions manquait au dernier moment, on a failli démolir la salle, on a démoli le matériel. » Dix ans de séjour à l’étranger n’ont pas habitué cet excellent homme aux différences de diapason ; nous sommes moins sensibles à cette mobilité, qui est un peu la nôtre ; entre les Anglais et les Italiens, nous formons la transition. Il n’a cependant pas tort, quand il constate que l’atmosphère demeure fébrile.

Au moins ne connaît-on plus ces jours précaires, et comme sans lendemain possible, qui donnaient à la vie quelque chose d’angoissant. L’existence était devenue un rêve qui pouvait à chaque instant finir. Rien n’avait plus de valeur durable, ni l’argent qu’on gaspillait, ni le travail, ni l’effort. Après avoir attendu l’avènement d’un nouveau paradis terrestre, on attendait une catastrophe qui anéantirait toutes les institutions établies. Inutile de peiner, ou d’épargner, ou seulement de vouloir. Il s’agissait seulement de profiter de l’heure qui passe. Ce temps-là est fini. On se rappelle maintenant qu’il est nécessaire de gagner son pain quotidien, et que l’argent ne s’acquiert pas si vite, par des spéculations toujours heureuses et parfaitement faciles. On est revenu à la réalité. Un docteur de la ville, qui connaît bien les ouvriers pour les voir tous les jours à sa consultation, juge que le trait le plus frappant de la psychologie du peuple, au cours de ces derniers mois, est la reprise du travail, dont on avait le dégoût et presque la haine.

Des deux tendances, l’une, celle qui allait vers l’anarchie, s’affaiblit et s’atténue tous les jours. L’autre, celle qui va vers l’ordre, a désormais triomphé. On voit écrit sur les murs : « Vive Lénine ! » mais on entend dire : « Nous aurions besoin d’un Hindenburg. »


8 septembre ; en chemin de fer.

Ne me parlez pas des pays où les wagons de chemin de fer sont des prisons où règne le silence. Les voyageurs restent glacés, méfiants, inhumains. Vous ne savez rien de votre voisin, ni où il va, ni ce qu’il fait, ni ses opinions politiques ; rien sur les membres de sa famille. Parlez-moi, au contraire, des pays où cinq minutes suffisent pour transformer le décor aride d’un coupé en salon où l’on cause. Il suffit d’attendre un peu : le premier