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Les services publics ne laissent pas de donner une impression de désordre. La poste est irrégulière, capricieuse. Il est à peu près impossible de circuler en chemin de fer sans se résigner à de longs retards ; vous voyez, jusque dans les petites gares, des groupements d’employés fort occupés à ne rien faire, et qui considèrent le public comme un trouble-fête ; ils le lui font bien voir. Ces messieurs ont une tendance marquée à former un Etat dans l’État. Sous le prétexte le plus futile, ils menacent de faire grève. J’ajoute que dans les dépôts des grandes villes, le pillage des wagons de marchandises a été parfaitement bien organisé ; on a employé tous les moyens, même l’assaut et la fusillade, comme au cinéma. De sorte que les marchandises sont encore plus mal traitées que les voyageurs.

Vous en tireriez des conclusions pessimistes, et vous auriez tort. Ces signes de désordre n’apparaissent plus guère que comme la liquidation du passé, et vont diminuant. Il y a souvent menace de grève : les grèves sont rares. Il y a quelquefois des tentatives pour entraîner plusieurs corporations dans un mouvement général : ces tentatives ne réussissent plus. Les services publics fonctionnent en grinçant encore, ils fonctionnent mieux qu’il y a quelques mois. On revient à l’ordre normal, lentement.

De même encore : une nervosité flotte dans l’air. La Toscane est par excellence le pays de la gentilezza : il n’empêche qu’on constate souvent, aux guichets, aux comptoirs, aux tables des restaurants, des aigreurs et des disputes. On est impatient, assez facilement irritable. « Avez-vous remarqué, me dit un de ces Anglais qui ont fait de Florence leur séjour préféré, l’extrême mobilité de la foule ? Il est vrai qu’elle a toujours été plus vive que la nôtre, heureusement. Mais voyez quel besoin, aujourd’hui, de circuler, de se déplacer, de s’agiter ! Assis aux tables des cafés, les gens se lèvent, vont saluer des amis, reviennent, repartent ; curieuse façon de se reposer. Dans le train, par-dessus les jambes des voyageurs entassés, franchissant valises et paquets, il faut qu’ils gagnent le couloir, et puis qu’ils recommencent la traversée en sens inverse ; ils ont du vif argent dans les veines, ils ne peuvent rester en place. Dans les salles de spectacle, les gens qui arrivent après le commencement, les gens qui partent avant la fin, les placeurs, les marchands de programmes, transforment l’auditoire en une mer agitée, pendant un tiers de la représentation. Et quelle véhémence, quelle