Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/795

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près impossible de gouverner, étant donné notre système électoral actuel. Nos dernières élections, en mai 1921, ont envoyé à la Chambre des représentations si sensiblement égales en force qu’aucune ne l’emporte sur les autres coalisées ; on ne saurait constituer une majorité solide. Le président du Conseil passe son temps à des exercices d’équilibre. Voilà ce que nous a valu la représentation des minorités. Elle nous a été dictée par un sentiment de justice, sans doute ; mais la politique aussi doit avoir sa morale, La morale commune n’est pas compatible avec la politique. Le rôle de la politique est d’assurer le bonheur du peuple ; ce qui n’assure pas le bonheur du peuple est immoral. La loi qui assure la représentation des minorités, politiquement parlant, est immorale. »


Chartreuse d’Ema, 5 septembre.

Excursion à la Chartreuse d’Ema, une fois passées les heures chaudes du jour, en Compagnie de quelques Français. Plusieurs d’entre eux sont frappés des marques d’hostilité qu’ils ont rencontrées, et assurent que la francophobie du peuple italien est maintenant un fait acquis. L’un raconte qu’on lui fait grise mine à sa pension ; un autre a recueilli le propos suivant : « Dieu sait si j’ai la guerre en horreur ; eh bien ! s’il fallait marcher contre la France, je serais prêt tout de suite. » On doit se garder d’attacher trop d’importance à de telles paroles, qui peuvent être le fait d’un excité, et qui sentent leur rhétorique. Mais il faudra voir jusqu’où va ce sentiment, s’il est étendu, s’il est profond.

Une des dames de la compagnie, femme d’esprit, et qui aime le paradoxe, fait une charge à fond contre les articles, les discours et les toasts où il est abondamment question des deux sœurs latines. Comme si deux sœurs se ressemblaient nécessairement, dit-elle ; comme si leur caractère était nécessairement identique ! Elles se ressemblent par la démarche, par les traits, par la voix : mais tout d’un coup, elles se trouvent différentes par les qualités intimes de l’âme, qui constituent l’essence de leur être. Et justement, de se trouver si semblables et si dissemblables à la fois, elles s’irritent. Elles vivent dans un perpétuel malentendu, que la moindre question d’intérêt suffit à aigrir. Ne parlons pas des sœurs latines, et cherchons à nous connaître vraiment, pour justifier notre affection non plus par de vagues