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revanche du parti hostile à la guerre ; d’où la réaction de la masse, réaction violente, impétueuse, dangereuse au point de porter la nation jusqu’aux approches de l’anarchie. D’où, aujourd’hui, non pas seulement des cris de haine contre le principe de la guerre, ce qui est trop naturel ; mais une désillusion profonde devant des avantages qui semblent minces au prix d’immenses efforts et de longs sacrifices, des rancœurs, des amertumes, des reproches, des divisions tenaces et un malaise prolongé.

Second effet, tout contraire : une conscience nationale mieux trempée à la fois par la guerre et par l’épreuve qui a suivi. Dans l’élite, la vision plus nette du devoir à remplir, de la nécessité du commandement dont on a pris l’habitude dans les tranchées ; l’idée, pratiquement vérifiée, que son intervention dans la vie publique est une nécessité absolue, si elle ne veut pas mourir. Les anciens combattants sont pour tout le pays une source continue d’idéalisme ; ils travaillent eux-mêmes à ce que leur sacrifice ne soit pas vain, et ils le prolongent. Ajoutez une autre attitude devant l’étranger : la volonté ferme de ne plus aller à la remorque d’une autre Puissance, en lui remettant le soin de la sécurité nationale. Un grand désir d’indépendance, le soin d’exiger en toute circonstance un traitement qui soit au moins celui d’égalité, voire une susceptibilité de plus en plus chatouilleuse. Autant de traits qui s’affirment avec une netteté de plus en plus marquée, qui surgissent avec une vigueur croissante du désordre antérieur.

L’heure s’avance, le garçon se rappelle à nous par des évolutions nombreuses et une toux répétée ; il attend sans résignation que ces clients attardés, dont deux parlent et le troisième écoute, lui rendent enfin sa liberté. Nous partirons ; mais non sans que le député M... ait ajouté, en allumant son long cigare :

— Prenez bien garde que le Gouvernement n’est pour rien dans les directions nouvelles que prend l’Italie. Son rôle est de laisser faire. Il est généralement sans force et sans énergie. Chose extraordinaire dans un pays où les individualités ne manquent pourtant pas, nous n’avons pas d’hommes d’Etat de rechange. Nous possédons un grand premier rôle, qui ne quitte la scène que pour des intervalles de repos nécessaires : encore ne pourra-t-il éternellement durer. Quand il s’en va, on constate que personne n’est capable de le remplacer. Alors il revient. Nous aurions un grand homme d’Etat qu’il lui serait à peu