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entendue, chère à un peuple toujours anxieux du jugement de ses voisins, et particulièrement sensible lorsqu’il s’agit d’un Français.

Je réponds à mes compagnons, — un journaliste, Sicilien d’origine, à l’œil vif, au geste prompt ; et un ancien député toscan, qui porte dans ses traits toute la finesse de sa race, — que mon impression est bien loin d’être faite ; qu’elle va se formant ; et que je compte sur eux pour me venir en aide. C’est à moi, bien plutôt, de les interroger. Dans quel sens la guerre a-t-e lie modifié la conscience nationale ?

Effet double, à les en croire. D’une part, la détente après l’effort, le désir de jouir après une longue période de sacrifices, et comme la revanche de la matière. Un grand appétit de plaisir, de luxe, avec un minimum de scrupules sur les moyens de le satisfaire. Une vague de paresse. Une spéculation effrénée. Un abaissement de la moralité moyenne qui s’est traduit dans la littérature : jamais on n’a tant lu, le goût de la lecture s’est répandu presque dans toutes les classes ; les éditeurs ont publié sans relâche pour répondre à cette demande nouvelle, et vont jusqu’à payer largement les auteurs, ô merveille ! Mais jamais on n’a lu de livres en général moins recommandables. Les bons écrivains ne manquent pas : les auteurs de romans pornographiques sont plus nombreux encore : ils étalent aux vitrines des libraires leurs couvertures criardes et leurs titres prometteurs, et connaissent des succès commerciaux sans précédent. Tout cela ressemble plus ou moins à des effets communément observés dans le reste de l’Europe ; mais voici qui est plus particulier. Tout au long de la guerre, un parti nombreux est resté hostile à l’intervention italienne ; pas d’union sacrée, sauf en quelques heures critiques, vite oubliées. Tout au long de la guerre, une masse qu’on n’a pas suffisamment éclairée a considéré la guerre non pas comme un conflit de principes auquel nulle conscience humaine ne pouvait se soustraire, non pas comme la défense de la justice contre l’injustice, mais comme une entreprise aventureuse dans laquelle on l’a jetée en vue d’avantages incertains. La France, attaquée, n’a pas discuté la guerre, elle a dû se défendre d’abord. L’Italie, non attaquée, a discuté pendant de longs mois l’hypothèse de la guerre ; l’intervention est devenue, pour une part, affaire de politique intérieure. D’où, dès le jour de l’armistice, la