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homme, et s’il rencontrait par aventure Salandra ou d’Annunzio, il ne leur ferait pas le moindre mal. Mais il ne veut voir dans la guerre que l’œuvre de quelques rhéteurs inconscients, et il se met des œillères. — Une femme du peuple : « Qu’a-t-on gagné, à faire la guerre ? De la souffrance et rien de plus. » — Dans un théâtre de troisième ordre, d’ailleurs tout plein de spectateurs très amusés, ouvriers et soldats en majorité, on donne une revue locale qui n’a pas de prétentions à s’appeler chef-d’œuvre. Elle ne contient guère que trois thèmes. Contre les impôts imposés par le Gouvernement depuis la guerre ; le Gouvernement apparaît comme une puissance occulte et maléfique, dont le rôle est d’opprimer le pauvre monde. Contre les profiteurs de guerre, les « requins, » comme on les appelle ici. Un marchand de souliers, un marchand de drap, un marchand de farine, viennent raconter comment ils se sont enrichis aux dépens de ceux qui se battaient pour le Gouvernement ; ils souhaitent un autre conflit très prochain, pour grossir leurs millions. Contre les paysans, qui sont devenus des profiteurs de guerre eux aussi, et laissent périr leurs denrées plutôt que de les vendre aux prix fixés... Ainsi de suite. Il n’est pas jusqu’à l’appariteur de l’Institut d’études supérieures, personnage académique, qui ne soit dégoûté. « Avant la guerre on pouvait vivre. Aujourd’hui, c’est impossible. Et croyez-vous qu’il soit agréable de faire toute la journée des courbettes, pour rien ? » Il songe à quitter l’Université pour retourner aux champs, perspective héroïque. Rien n’arrive, qui ne soit la faute de la guerre, spéculation abominable qui a mal tourné.


Florence, 4 septembre.

La lumière électrique, blanche et crue, découpe brutalement, dans la place obscure, un rectangle net ; elle ruisselle sur les nappes des petites tables alignées, s’accroche aux couverts qui scintillent, tombe sur les pierres blafardes. En face de nous, les hauts murs du palais Strozzi, massif et noir, semblent hostiles à cette lumière indiscrète, et s’enfoncent dans la nuit. Peu de passants ; pas de voitures ; on dine en plein air, dans la paix du soir.

C’est l’heure où les conversations, après avoir longtemps erré, se dirigent enfin vers les points essentiels. « Et donc, quelle est votre impression sur l’Italie ? » Question dix fois