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— Futuriste ?

Pas le moins du monde. Il ne renie rien du patrimoine national. Il n’est pas assez fou pour vouloir combler les canaux de Venise : il est fier, étant Florentin, des trésors d’art de sa ville et de son pays. Seulement, il demande qu’on ne fasse pas tort à l’Italie. L’Italie a créé la plus grande fabrique d’automobiles du monde ; elle a trouvé les applications pratiques de la télégraphie sans fil ; elle a tiré parti, mieux qu’aucun autre peuple d’Europe, de ses richesses en houille blanche ; voilà qui n’est indigne ni d’intérêt, ni d’admiration. Que l’on regarde un peu moins les ruines de l’antiquité, et un peu plus les usines qui s’élèvent. Il faut vivre avec les vivants. Et on offense les Italiens, à la fin, quand on ne leur parle que de leurs beautés artistiques. La belle Italie, soit : mais à condition qu’on pense aussi à la grande Italie, qui veut sa place au soleil, et ne se sent inférieure à personne. Les étrangers ne le savent pas suffisamment ; non pas moi, bien entendu, qui ne suis pas tout à fait un étranger ; mais les autres...


Florence, 3 septembre.

Pour la majorité des petites gens d’ici, la guerre est une calamité que l’Italie pouvait éviter, mais que certains énergumènes ont été assez fous pour appeler sur elle. Une période idyllique, où la vie était agréable et facile, avant 1914 ; un cauchemar, de 1915 à 1918 ; depuis, une série de misères qui résultent logiquement de l’erreur initiale : telle est la façon dont ces simples voient l’histoire. Le cireur de bottes qui exerce son ministère au bout de la via Calzaiuoli vous demande une lire pour donner à vos souliers un éclat sans pareil : ce prix lui semble à lui-même exorbitant, mais il faut bien payer la guerre. — Le receveur du tramway vous tend une monnaie de papier presque aussi sale que la nôtre, et vous fait remarquer non sans joie que cette belle monnaie est une conséquence de la guerre. — Mes anciens logeurs : « Ah ! Signorino (ils m’appelleront Signorino jusqu’à ma mort), qu’est devenue notre pauvre Florence ? Il faut mettre dix francs pour avoir un fiasco de vin. Pourquoi, mais pourquoi avons-nous fait la guerre ? » — Un ouvrier, inscrit au parti socialiste, maudit les bourgeois qui ont voulu la guerre ; s’il tenait dans ses mains les d’Annunzio et les Salandra, ceux-ci n’en sortiraient pas vivants. Il s’agit d’un fort brave