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de couleurs avec les tons discrets des vieilles pierres, des colonnettes, des peintures qui s’effritent. Cet arbre majestueux ajoute à l’impression de paix, de recueillement, de dignité souveraine, dont le souvenir vous poursuivra toujours : car, s’il est de plus beaux lieux au monde, il n’en est guère de plus touchants. Tout cela : ces architectures sobres, ces peintures angéliques demeurées dans leur cadre idéal ; cette piété qui flotte encore dans l’air, ces images saintes, cette grâce des corps ; ce couvent, cette retraite ; ces buis, ces fleurs, cet arbre, et. comme ce sourire des plantes : tout cela vous ramène bien loin en arrière, vers l’époque où l’humain et le divin étaient intimement confondus, dans l’Italie mystique. Imprégnez-vous de son charme ; respirez son atmosphère ; hésitez longuement avant de franchir le seuil : vous ne trouverez rien de tel au dehors.


Florence, 28 août.

Grand tapage sur la place San Marco. Des jeunes gens s’agitent, et crient. Ils sont nombreux ; ils ont je ne sais quel air audacieux, et même provocant ; le moins âgé peut avoir quinze ans, et le plus vieux n’a pas dépassé la trentaine. Ce n’est pas une démonstration d’étudiants, puisque les étudiants sont en vacances ; une démonstration d’ouvriers, encore bien moins. Les groupes flottants qui se forment à travers la place se disciplinent peu à peu ; les manifestants prennent un ordre presque militaire, quatre par quatre ; ils obéissent à des chefs placés en serre-file. Ils portent de gros bâtons, la poignée serrée sur la hanche, la pointe en l’air, comme des épées. Ils chantent un hymne qui ne fait pas partie des divers répertoires que j’ai jadis pratiqués, et ils s’ébranlent pour une destination inconnue.


Florence, 29 août.

L’avocat G…, que je comptais voir, n’est pas chez lui ; il est encore dans sa villa des Camaldules. Rien d’étonnant, car la chaleur est étouffante. Seuls, les gens qui n’ont ni argent ni loisir sont demeurés à l’attache ; on ne rentrera guère que vers le milieu de septembre ou plus tard.

Je suis reçu par son fils, étudiant en droit de dix-huit ans, descendu à la ville pour peu de jours. Les jeunes gens me paraissent toujours redoutables ; ils sont si sûrs de réformer le monde, qui sans leur venue courait grand risqué de péricliter ; et leurs propos sont empreints d’une bienveillance si dédaigneuse