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J’irai d’abord à Florence ; il est bon de respirer l’air toscan, après ces années violentes et dures. A Florence, j’irai revoir d’abord le couvent de San Marco.


A San-Marco, 28 août.

Si vous allez à San Marco, gagnez d’abord les cellules ; devancez les visiteurs bruyants, et fuyez le gardien qui, pour vous montrer comme les peintures sont bien faites, recueille le jour dans un miroir. Traversez la cour, gravissez l’escalier de pierre, errez dans le long couloir aux dalles rouges et luisantes, entrez dans les chambres des moines, désertes et nues maintenant. Evoquez le Beato Angelico, le frère à la robe blanche, qui traduisait en fresques sa piété et ses rêves. Regardez les scènes qu’il a peintes, comme s’il était en train de les finir à côté de vous ; l’Annonciation : l’Ange est si grave, la Vierge est si pure, le paysage aux arbres frêles a tant de grâce ; la Flagellation : on voit la face douloureuse du Christ, la couronne d’épines, les mains qui frappent, les bouches qui crachent, sans voir les corps ; et la Résurrection, toute blanche. Les couleurs sont si fraîches dans leur harmonie ! on dirait qu’il vient de les appliquer. Il a bien fallu qu’il mît une auréole à Judas, puisqu’il était un des apôtres ; mais il lui a mis une auréole noire, puisque Judas a trahi.

Quand vous aurez visité toutes les cellules, une à une et longuement, descendez, et faites le tour du second cloître, celui qui est plus austère et moins souriant. Les moines venaient puiser l’eau à ce puits, qui se dresse au centre du jardin ; la corde a usé la pierre. C’est ici qu’ils se promenaient et qu’ils méditaient. C’est ici qu’ils reposent : lisez les inscriptions sur les pierres de leurs tombeaux.

Gardez votre impression dernière pour le cloître près de l’entrée, d’une grâce aimable et subtile. Regardez encore ces fresques, que Fra Angelico a peintes au-dessus des portes : Saint Pierre le Dominicain, martyr, qui a la tête fendue d’un coup de hache, et qui met son doigt sur ses lèvres pour recommander le silence ; Jésus se faisant reconnaître aux disciples d’Emmaüs ; quelle douceur, quelle mélancolie ! Voyez le cèdre qu’on a planté au milieu du cloître ; il l’a envahi tout entier ; ses branches basses couvrent le sol, sa cime dépasse les murs et les toits. Le vert argenté de son feuillage forme une symphonie