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adage si plein de vérité n’est réalisé que si le second est consenti.

Le métier des armes est sublime parce que le commandement est la jouissance suprême et parce que, en même temps, il faut obéir intégralement.

Le sentiment qui nous amène à nous révolter contre cette condition est l’orgueil. L’orgueil est toujours puni. Tout chef passionné de commandement est enclin à l’orgueil ; il lui faut lutter contre lui-même à ce point de vue. Cet effort continuel grandit la volonté, donne à l’obéissance militaire un caractère de beauté tout à fait particulier.

Le forcement des Dardanelles va donner à la guerre une ampleur formidable. C’est en effet une croisade, une révolte générale contre l’orgueil, la brutalité, l’égoïsme et la barbarie : en synthèse, une victoire de l’Evangile contre l’hypocrisie, l’orgueil et l’erreur. Voilà du coup, tous les balkaniques et l’Italie dans la danse : c’est le blocus intégral des Germains. Ils s’effondreront sans beauté.

En attendant le cataclysme réservé par Dieu et qui sera le coup de tonnerre qui marquera l’instant, le commencement de l’effondrement, l’usure continue dans de bonnes conditions. Le nombre de cadavres allemands qui s’empilent en Champagne et en Argonne devient énorme ; les munitions de l’ennemi diminuent rapidement ; obligés d’amener par ici renforts sur renforts, les fronts s’étirent, s’amaigrissent. La faim travaille là-bas les cervelles et les entrailles. C’est le cri lamentable de toutes les femmes dans leurs lettres ramassées sur les cadavres des maris et des fils. Cela ne réconforte guère les guerriers. Quant aux Russes, s’ils ne sont pas des stratèges ni des tacticiens, ils sont un puissant facteur d’extermination.

Tout va bien. L’essentiel est de conserver une armée intacte dans son moral et dans sa force.


EN LORRAINE


9 mars 1915.

Je suis nommé commandant du détachement d’armée de Lorraine.

Je pars demain pour mon nouveau poste.

Inutile que j’insiste sur les sentiments qui m’animent.