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Nous menons ici une pénible existence ; on se bat sans arrêt et nous avons affaire à forte partie. La situation topographique n’est pas à mon avantage et il en est résulté quelques « pépins ; » rien de grave, mais c’est ennuyeux. Enfin, je ne désespère pas de prendre l’ascendant, bien qu’il soit, par ici, de l’autre côté depuis quatre mois. Dans l’ensemble des affaires, cela n’est rien ; peut-être même préfère-t-on laisser les choses ainsi... Quoi qu’il en soit, les contingences sont favorables. Pazienza... Il n’y a pas d’exemple que Dieu n’ait pas cruellement châtié l’orgueil. Et y en eut-il jamais plus kolossal ?...


6 février 1915.

Ici on se bat sans relâche, avec une opiniâtreté, un acharnement égal de part et d’autre. Nos jeunes soldats sont admirables d’ardeur. Mais, hélas ! cela coûte cher. Les dépôts s’épuisent à verser dans les rangs, sans jamais les remplir, tout ce qu’on ramasse d’hommes en état de porter les armes. La difficulté, ici, vient de l’infériorité de notre outillage. Les Allemands ont 5 minenwerfer par compagnie, dont un gros. Ils ont d’excellentes grenades à main, en quantité ; or, dans ce dédale de boyaux, de maquis, on se bat surtout avec des engins de cette nature. Enfin ! nous nous servons de la baïonnette, mais c’est un outil assez encombrant ; il faudrait des sabres ou des haches : voilà donc le « briquet » de nos pères qui, de nouveau, revient à la mode...


10 février 1915.

Dans notre métier, il ne faut pas se laisser influencer par ses préférences ou ses antipathies ; ne pas perdre de vue la Mission, la Direction, le Devoir ; — pour le reste, laisser faire à Dieu.

... Ici, on mène toujours une vie exceptionnellement agitée ; je suis pressé vigoureusement par un ennemi dont l’outillage est supérieur, qui, depuis quatre mois, a la supériorité tactique. Je croyais, depuis une huitaine, avoir renversé les rôles ; crac ! ce matin, il m’a fait sauter et enlevé une longueur de tranchées de trois ou quatre cents mètres. On contre-attaque en ce moment. D’ailleurs, attaques, contre-attaques se succèdent sans arrêt. Le métier, ici, est rude.

Ce qui m’étonne, dans l’acharnement des Allemands sur ce front, c’est que je ne vois pas où cela peut bien les mener, car,