Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/778

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont par dessus la tête. Quatre aviateurs que nous avons pris il y a deux jours parlent dans ce sens : ils n’ont guère confiance. Les déserteurs lorrains, assez fréquents par ici, donnent le même son de cloche.

Haut les cœurs donc, confiance, et aiguisons nos baïonnettes.


24 janvier 1915.

Il y a des jours où, si je ne veillais sur mes sentiments, je serais dans le cas de souhaiter être à ta place ! C’est à peine si se termine une lutte de trente-six heures pour la possession d’un bout de tranchée, où les pertes des deux côtés ont été énormes ! Je n’ai pu reprendre cette parcelle infime, dont les défenseurs ont à peu près tous été écrasés par les explosifs puissants dont les Allemands disposent par ici. Cela n’a point d’importance au point de vue général, mais c’est enrageant quand même !

Cette lutte incessante, dans les bois où les détonations résonnent formidablement, prend un caractère plus sauvage. La difficulté pour nous vient de ce que notre outillage est très inférieur. Il faut une jolie confiance pour y résister. Le bataillon du commandant Devincet s’est bien comporté. Il a perdu plus de la moitié de son effectif ; bien entendu, pas de prisonniers, si ce n’est des blessés. C’est l’usure réciproque, y compris l’usure économique, — et il est incontestable que l’usure est plus forte chez eux que chez nous.

L’événement éclatera, où ? comment ? mystère.

C’est le phénomène de toutes les batailles ; seulement au XXe siècle, la bataille s’étend sur presque toute l’Europe, et elle dure des mois.

Pazienza, bonne humeur.

P. S. — J’ai sous mes ordres ici des Chambériens, du 108e territorial : braves gens [1].


31 janvier 1915.

Que deviens-tu ? Par ce temps de froid et de neige, ma pensée te cherche avec une particulière sollicitude ; que Dieu t’assiste et secoure tes hommes ! c’est si dur.

Ouvre l’œil de bonne heure, fais circuler des rondes toute la nuit, active la vigilance ; à l’aube, il y a eu des surprises du fait de l’engourdissement produit par le froid.

  1. Le général avait commandé de 1911 à 1913 la brigade d’infanterie de Chambéry.