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offensive quelconque. Cette période va donc offrir un prodigieux intérêt, si les Russes rentrent en Prusse. Alors, sans doute, la partie paraissant perdue définitivement pour eux, aux yeux du monde entier, nous allons voir les attardés partir en guerre eux aussi.

Malgré les pertes énormes subies, le moral, par ici, est excellent. Les hommes se rendent compte que les Allemands ont perdu la partie. Ils sont fiers de les avoir arrêtés et, quand on poussera un tant soit peu de l’avant, ils marcheront avec enthousiasme. Et pourtant, la vie est dure, dans ce pays de boue et de marais. Les tranchées n’y ont pas le confortable de la tienne, et souvent les hommes passent la nuit dans l’eau !


4 décembre 1914.

... Des projets sont en fermentation, paraît-il, dans les grands états-majors, mais je ne suis pas dans le secret des Dieux. Quant à aller plus vite, impossible pour de nombreuses raisons. La guerre a pris une apparence différente : le combat d’usure dure des mois, là où il durait quelques journées, voire quelques heures, mais ce sera toujours la même chose : le moins usé brisera l’autre. L’étendue couverte par les masses modernes, la lourdeur de celles-ci, les difficultés de leurs ravitaillements de toute nature ont grevé la durée des opérations d’un lourd coefficient. C’est égal, nous les aurons, ou plutôt on les a.


Poperinghe, 9 décembre 1914.

... Aujourd’hui, je change de front. J’ai ma gauche tout près d’Ypres et à ma droite le 16e CA.

Je suppose que ce n’est pas pour des prunes qu’on a appelé ici le 32e qui a la réputation d’attaquer à fond ; mais cela ne sera pas commode : l’ennemi est à une distance de 100 mètres au maximum et de 9 mètres au minimum : on se jette des betteraves.

C’est un autre genre que ma « Maison du Passeur, » qui a coûté tant de monde. L’assaut de ces ouvrages, exécuté par 400 volontaires, a été un épisode vraiment très beau pour les deux adversaires. Le combat a duré soixante heures sous une tempête de neige et une pluie torrentielle, les quatre détachements d’assaut dans l’eau et la boue jusqu’à mi-jambes. La garnison du fortin (Maison du Passeur) s’est laisse écraser tout entière par nos obus