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(7 500 millions de dollars), et elle garde un change relativement favorable. Et ce sont les Allemands qui crient misère !

Mais c’est la course à l’abîme. Il faut, pour que le jeu puisse durer et finalement réussir, que le mark ne cesse de baisser, car le jeu de la concurrence travaille sans cesse à supprimer ou à atténuer les différences ; les pays victimes du dumping se défendent par des tarifs de douanes. Les prix de revient tendent à rejoindre ceux du marché mondial ; les Anglais, les Français parviennent à établir des prix sensiblement égaux. Parmi les ouvriers allemands le mécontentement grandit ; il faut insérer, dans les marchés à terme, une clause réservant le cas d’augmentation des salaires. Quand la récente baisse aura cessé de faire sentir son effet, qu’arrivera-t-il ? Le chômage s’abattra sur l’Allemagne avec toutes ses conséquences, misère, troubles sociaux. L’Allemagne, par la politique de ses Stinnes, se ruine et se détruit elle-même. Elle exporte, mais les bénéfices de ses exportations restent au dehors à l’avantage de quelques individus, mais au détriment de toute la nation. L’Allemagne, qui a échappé à la domination de l’aristocratie des hobereaux, est tombée sous la domination des magnats de l’industrie. Or, l’intérêt de l’État ne s’identifie pas à celui des industriels. Si la ruine de l’État allemand est désavantageuse pour ses créanciers, elle est désastreuse pour ses citoyens. Si les Allemands s’en sont réjouis en haine de la France, ne vont-ils pas, bientôt, le regretter amèrement. « L’Allemand est joueur, écrit M. Seydoux ; il avait joué en 1914 et il a perdu ; il a joué de nouveau sur une échelle plus grande encore : il a perdu encore ; la chance a tourné contre lui. Les événements se seraient sans doute déroulés sur un rythme moins rapide si les réparations n’avaient pas pesé sur l’ensemble ; mais elles n’en sont pas la cause première ; ce n’est pas parce que l’Allemand n’a pas pu payer les réparations, mais c’est parce qu’il est allemand et qu’il est mauvais européen, comme il l’a toujours été, qu’il s’est ruiné en vivant en grand seigneur dans une Allemagne appauvrie. » Une politique de sagesse et d’économie eût été, pour l’Allemagne, la voie du salut. Sa défaite économique aura peut-être des conséquences plus terribles pour elle que sa défaite militaire. Pour les États, comme pour les individus, l’honnêteté est encore la plus habile des stratégies.

Le désastre militaire de l’Allemagne a été, pour l’Europe, une libération ; sa ruine économique serait, au contraire, un péril. Il s’établit, entre les pays civilisés du monde entier, une solidarité économique et financière qui fait que, si un État est malade, tout le