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Gouvernement, celui-ci fixera les taxes à l’exportation de telle sorte que les maisons allemandes puissent toujours vendre à des prix inférieurs à ceux des concurrents étrangers. Le chômage des manufactures anglaises est, en grande partie, un résultat de cette politique.

La dépréciation de la monnaie a ainsi un double avantage : elle est une arme qui aide à vaincre dans la lutte industrielle, à distancer les concurrents, à empêcher les industries des pays nouveaux, Tchécoslovaquie, Pologne, de se développer, et, en même temps, elle permet de crier misère, d’apitoyer l’étranger dupe ou complice, de ne pas payer les réparations. Les résultats sont en apparence merveilleux : l’Allemagne travaille ; les ouvriers ne meurent pas de faim, les industriels gagnent de l’argent. Cet argent on se garde de le rapatrier, on le laisse en dépôt dans les banques étrangères, on l’y fait travailler, ou bien, ce qui entre en Allemagne on se hâte de l’employer pour créer des valeurs nouvelles, usines, bateaux, chemins de fer. On colonisera la Russie, le Mexique, l’Amérique du Sud, l’Extrême-Orient. Quiconque circule en Allemagne est frappé de l’activité des usines, des chantiers, des ports. Hambourg, vide il y a deux ans, est plus animé qu’en 1914. Le trafic du port dépasse de 71 000 tonnes en mai 1922 le chiffre correspondant de mai 1913. On manque de charbon ; pour les livraisons à faire à la France, l’Allemagne achète du charbon anglais. Suprême dérision : tandis que la France se ruine pour reconstruire ses villes et ses villages dévastés par les armées allemandes, en Allemagne, partout, des bâtiments nouveaux s’élèvent. Écrivains et journalistes, serviteurs de la richesse qu’elle soit d’or ou de papier, célèbrent la vitalité du peuple allemand que la haine des Français voudrait détruire, ruiner, opprimer, si le bon et juste Anglais n’était là par fortune, pour l’en empêcher.

Les industriels allemands, vrais maîtres de l’État, n’ont rien tenté pour arrêter la dépréciation du mark ; ils ont précipité notamment les deux baisses formidables de juin 1921 et de juin 1922, qui leur ont permis de maintenir leurs avantages à l’exportation ; ils ont tout fait pour empêcher la stabilisation des cours. Ainsi, la baisse du mark n’est due que pour très faible part au paiement des réparations. Les sommes ainsi déboursées par l’Allemagne en devises ou en nature n’équivalent qu’à 4 944 millions de marks-or, 1 250 millions de dollars. Dans le même laps de temps la France, qui compte vingt millions d’habitants de moins et dont les plus riches départements, ont été ruinés par la guerre, a trouvé moyen d’avancer à l’Allemagne, pour la restauration des régions dévastées, 92 milliards de francs