Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Commission des réparations, sans laquelle, « vu l’extrême gravité de la situation actuelle, il ne lui serait pas possible de rétablir l’équilibre des conditions sociales et financières. » Si la Commission refusait, « la dépréciation actuelle du mark-papier allemand ferait des progrès rapides et irrésistibles et conduirait à une subversion de la vie financière, économique et sociale de l’Allemagne. » C’est la banqueroute ; mais la menace s’ajoute à l’aveu. L’Europe sera entraînée dans la ruine de l’Allemagne, si elle ne l’aide pas à se relever. C’est l’aboutissement de la politique des industriels : enrichissement de quelques particuliers et ruine de l’État. C’est aussi la conséquence de la politique du chancelier Wirth : exécuter le traité juste assez pour montrer qu’il est inexécutable.

Que vont faire, en présence d’une telle situation, la Commission des réparations et les Gouvernements créanciers ? La catastrophe du mark est indéniable. Comme la couronne d’Autriche, le mark tend vers zéro : il est actuellement à moins de deux centimes et demi ; le dollar vaut 500 marks-papier. Mais si c’est la banqueroute, c’est la banqueroute frauduleuse. Déjà avant la guerre, le système économique allemand ne pouvait se soutenir que par un accroissement sans fin de la production, des « ventes et des bénéfices ; la machine était merveilleusement organisée, mais elle ne pouvait pas s’arrêter ; c’est lorsque les industriels allemands ont compris que la crise était inévitable, qu’ils ont adopté l’idée de la guerre et ont fait alliance avec le parti hobereau et militariste : et ce fut 1914. L’enjeu était formidable : l’Allemand perdit. Mais la défaite ne l’assagit pas. L’homme d’affaires allemand est un type curieux et redoutable chez qui le calculateur s’allie à l’aventurier ; il a le goût de l’entreprise et du risque, que lui prêcha Nietzsche ; il est au-dessus des lois et de la morale. C’est lui qui, depuis la faillite des princes et des militaires, dirige en réalité l’Allemagne sans assumer les responsabilités du gouvernement. Payer ses dettes, liquider la guerre, c’eût été pour eux une perspective mesquine et « bourgeoise, » bonne pour des Français. Ils ont préféré le risque ; ils ont vu, dans la baisse de la monnaie, le moyen de jouer une nouvelle partie et longtemps ils ont cru la gagner. Le mark baisse plus vite que ne haussent les salaires et les prix de revient du produit industriel ; le pouvoir d’achat du mark reste toujours, à l’intérieur, supérieur à ce qu’il est hors d’Allemagne. Sur cette différence est fondé tout le calcul. L’Allemagne travaillera à plein, paiera des salaires de famine à ses ouvriers, et, comme le commerce est placé sous le contrôle du