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refusions de croire à ses manifestations de gallophobie. Enfin, j’ai honte à le dire, mais la France accordait à l’Allemagne une espèce de crédulité à la Boubouroche.

Quels ont été les résultats de l’influence allemande ? Ici où là fort inégaux. Elle a induit en erreur fréquente un Michelet, d’autres penseurs autour de lui. Elle a été, dans la philosophie, très importante ; elle a contribué à l’immense désordre des idées qui est l’un des caractères du siècle dernier. Je crois qu’elle a modifié la musique française. Je ne crois pas qu’elle ait sensiblement modifié notre littérature : voire, il me semble surprenant qu’elle l’ait si peu modifiée ou, à mon avis, ne l’ait pas du tout modifiée. « A première vue, dit M. Reynaud, les souvenirs de la poésie germanique apparaissent nombreux chez nos lyriques : il y en a chez Musset, chez Gautier, chez Hugo, chez Leconte de Liste, chez Banville. Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que ce sont des emprunts tout superficiels, quelques traits singuliers, des éléments de pittoresque, qui viennent prendre place dans des œuvres de second ou de troisième ordre ; une vision du Moyen-âge ici, de la Grèce là ailleurs du fantastique et du surnaturel bon marché : rien d’essentiel. En fait, notre grand lyrisme du XIXe siècle, celui des Lamartine, des Vigny, des Musset, des Hugo, dans ce qu’il a de profond et de durable, ne doit que fort peu de chose à l’Allemagne. » Ne lui doit véritablement rien. Et la littérature qui a suivi le romantisme : rien non plus.

Du reste, la propagande allemande avait d’autres visées que littéraires : des visées politiques ; cela, dès le début et constamment. Elle a utilisé la littérature à ses fins et, à vrai dire, s’est camouflée de littérature. Elle cherchait à nous faire adopter le mensonge d’une Germanie bien aimable. Ses poètes et divers écrivains qu’elle a si assidûment promulgués en notre pays étaient ceux qui nous présentaient une bonne Allemagne, douce, rêveuse, toute livrée à la musique, à la métaphysique et à l’indolente mélancolie, pendant que se casquait la Prusse. Elle nous a trompés de cette manière, avec une impudence qui n’eut d’égale que notre jobarderie : ce n’est pas drôle. A-t-elle atteint, comme on le dit, l’esprit français ? Non. Elle n’a trouvé de dupes, hélas ! que parmi nos hommes d’État et leurs conseillers, les philosophes de l’histoire et les penseurs trop vifs ou éloquents. Ce fut le grand dommage. Mais la littérature a fait une belle et simple résistance.


ANDRÉ BEAUNIER.