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soin, en remettant le pied sur la terre de la loyauté et de la véritable humanité, est de vous envoyer mon salut cordial. » Cependant, on lisait, à Paris, la Philosophie de Kant. Joubert en eut le souci tout l’été de l’année 1801. Joubert lisait aussi les Critiques, en traduction latine ; et, vers le 10 septembre, il écrivait à Mme de Beaumont : « Figurez-vous un latin allemand, dur comme des cailloux ; un homme qui accouche de ses idées sur son papier et qui n’y met jamais rien de net, de tout prêt et de tout lavé ; des œufs d’autruche qu’il faut casser avec sa tête et où, la plupart du temps, on ne trouve rien. Il faut qu’il y ait, entre l’esprit allemand et l’esprit français, la même différence qui s’est trouvée pendant toute la guerre entre les mouvements des soldats des deux nations. J’ai ouï dire et vous savez qu’un soldat français se remuait vingt fois dans le temps nécessaire à un soldat allemand pour se remuer une. Voilà notre homme. Un esprit français dirait en une ligne et en un mot ce qu’il dit à peine en un tome... » Mais, pour admirer Kant l’un des premiers, il y eut Sébastien Mercier ; d’ailleurs, il l’admirait et ne l’entendait pas beaucoup.

Lorsque le Concordat fut promulgué, les philosophes de l’Institut, fort mécontents, mirent au concours cette question : « Quelle a été l’influence de la Réformation de Luther sur la situation politique des différents Etats de l’Europe et sur les progrès des lumières ? » C’était afin de taquiner Bonaparte. Villers, à Lubeck, demeurait en compagnie de Dorothée, de Schlœzer et d’une troupe de professeurs très germains et très luthériens qui trouvèrent l’occasion bonne de houspiller la France catholique au profit de la Germanie luthérienne. On mit sans retard Villers à la besogne. On lui passa des fiches et des documents. On l’aida, on le sermonna. Heeren, l’historien de la Réforme, lui corrigeait de page en page ses bévues. En cinq mois, Villers eut achevé son mémoire. L’Institut reçut sept mémoires : cinq venaient d’Allemagne ; et Villers fut couronné par le même Institut, la même « populace ameutée » qu’il avait récemment méprisée avec tant de fierté allemande. Il vint à Paris. Les philosophes le complimentèrent ; el la classe d’Histoire et de Littérature le désigna comme l’un de ses correspondants étrangers. Il eut aussi sa récompense en Allemagne : pour faire honneur à son « incorruptible amour de la vérité, » l’université d’Iéna lui décerna le titre de docteur.

Je n’ai pas lu le mémoire de Villers ; c’est, dit M. Reynaud, tout un plaidoyer pour la Réforme ; et les arguments au petit bonheur. Villers utilise la théorie de la perfectibilité, que prônent les philosophes de chez nous : postérieur au catholicisme, le protestantisme