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s’acclimata sans peine dans ce milieu de « teutonisme intégral. » Les Teutons de Gœttingue firent à ce jeune homme un grand accueil. Il rencontra une jeune fille, Dorothée Schlœzer, qui était docteur en philosophie et qui bientôt voulut lui enseigner l’allemand, lui révéler la littérature allemande et l’endoctriner à sa guise. Elle prit sur lui une influence décisive, par les stratagèmes d’amour. Elle épousa un négociant de Lubeck, M. de Rodde : ce mariage ne sépara point Villers et Dorothée ; Villers entra dans le ménage. Et Dorothée de Rodde, après Dorothée Schlœzer, lui serinait la Dramaturgie de Lessing. A quelques années de là on demandait à cette Dorothée un article sur Villers ; et elle répondit : « Je serais obligée de trop parler de moi-même, et cela je ne le puis, car j’ai eu véritablement une petite part à son initiation à la littérature allemande. Il y eut une époque où, comme ses compatriotes, il était très injuste. » La petite part que Dorothée avait eue à l’éducation de Villers ? elle en fît un Boche. Voici les idées de Villers après que Dorothée s’est occupée de lui, et telles que M. Reynaud les résume : « La littérature allemande, expression d’un peuple sérieux, profond, pur, honnête, savant, était très supérieure à la littérature française, où se trahissaient la légèreté, la dépravation et l’ignorance de notre société dégénérée. Cette supériorité qui, pour la poésie, s’incarnait en Klopstock, pour la philosophie en Kant, l’Allemagne la devait en dernière analyse au fait qu’elle était protestante, tandis que la France partageait la situation arriérée de tous les pays catholiques... » Voilà le fond de la doctrine ; et c’est la doctrine du Sturm und Drang : et c’est la pacotille de pensée que Villers, à l’instigation de sa chère et industrieuse Dorothée, va s’efforcer de répandre chez nous. Il publie à Metz en 1801 sa Philosophie de Kant ou Principes fondamentaux de la philosophie transcendantale, où il affichait l’intention de régénérer par l’idéologie allemande la France que la philosophie sensualiste avait corrompue.

Les philosophes de l’Institut le traitèrent comme il fallait. Il écrivit une brochure contre l’Institut, qu’il appela une « populace ameutée. » L’Institut répliqua. Et la querelle vint aux oreilles du Premier Consul, qui ordonna que ce Villers le renseignât promptement sur Kant et le kantisme, en quatre pages. Cet imbécile de Villers profita de ses quatre pages pour dénigrer la France et glorifier la Germanie. Bonaparte jeta au panier son factum. Villers s’en retourne donc au pays de Kant et de Dorothée ; il écrit à un ami d’Allemagne : « Je reviens du pays du charlatanisme et de la forfanterie. Mon premier