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démentie ; et, généralement, on renonce à croire populaire une poésie anonyme.

En somme, parmi les cadeaux que nous aurait faits l’Allemagne, durant le dernier siècle, en voici trois dont je ne veux pas la remercier : le génie de nos poètes romantiques, les méthodes érudites qu’elle nous avait empruntées et une idée fausse parmi tant d’autres et, quelques-unes comme celle-ci, très sournoises. Les bienfaits de l’influence allemande, je les réduirais à peu de chose.

Un fait extrêmement remarquable est, dans le livre de M. Reynaud, la manière dont l’Allemagne, au XVIIIe siècle et au XIXe s’insinue chez nous. Quel étonnant travail de propagande et, en pleine paix, un travail de guerre !

En 1748, Melchior Grimm, de Ratisbonne, partait pour la France. Son maître Gottsched le charge d’une mission, qui est de révéler aux Parisiens la littérature allemande. Grimm a de l’entregent : bientôt, il connaît Rousseau, Diderot, d’Holbach ; il connaît tout le monde. Il publie dans le Mercure des lettres sur la littérature allemande qui font du bruit. Fréron, l’un des premiers convertis, écrivait : « Jusqu’ici, nous n’avions regardé les Allemands que comme un peuple tristement absorbé dans l’étude du droit et caché dans les antres obscurs de l’érudition ; cependant il est certain que cette nation a produit de tous temps quelques génies favorisés de la nature, qui ont su tirer de leur langue des sons sublimes et harmonieux. » Fréron le disait sur la foi de Melchior Grimm, et ne savait pas l’allemand. Les Français ne savaient pas l’allemand : Gottsched publie, en 1753, l’une à Strasbourg, l’autre à Paris, deux versions françaises de sa Sprachkunst : à Strasbourg, c’est Le maître allemand ; c’est, à Paris, La grammaire allemande de M. Gottsched. Cette grammaire, dit M. Reynaud, « marque le point de départ de l’étude régulière de l’allemand chez nous. » Il faut le noter : ce ne sont pas les Français qui vont en Allemagne chercher la littérature allemande : les Allemands la leur apportent, sans qu’on ait rien demandé ni à ce Gottsched ni à ce Grimm trop complaisants.

Après ce Gottsched et ce Grimm, voici un autre gaillard, nommé Junker, un « pangermaniste avant la lettre, » comme l’appelle M. Reynaud. Les deux autres sont des Allemands, celui-ci est bien un Boche. Il publie, en 1762, un Essai sur la poésie allemande, où il y a son insolence. Il commence par dénigrer notre littérature : il ne sait que penser des tragédies françaises, il ne comprend rien aux applaudissements qu’on leur accorde ; « j’y cherche du mouvement, des