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C’est l’Allemagne qui a formé nos Gaston Paris, nos Paul Meyer, nos d’Arbois de Jubainville et nos Gabriel Monod. En d’autres termes, nos savants se sont mis à l’école de l’Allemagne ; mais pourquoi ne se sont-ils pas mis à l’école de la France ? Les méthodes que l’Allemagne leur enseigna venaient de chez nous ; et, pour en douter, — M. Reynaud, d’ailleurs, n’en doute pas, — il faudrait nier l’immense et intelligent labeur de nos bénédictins, par exemple. Il y avait, en France, et très anciennement, de grands érudits et, travaillant sous leur maîtrise, des équipes laborieuses qui abattaient de la besogne. Je ne crois pas que cette besogne ait jamais été interrompue chez nous et me demande si, à l’époque où nos jeunes savants allèrent prendre leurs leçons dans les universités allemandes, le vif anticléricalisme de 48 ne les engageait pas à préférer des Boches à des moines.

Puis, les savants que cite M. Reynaud, s’ils ont « ressuscité tout notre passé », ce ne fut pas à l’imitation des historiens allemands, lesquels sont, en masse, de grands artisans de mensonge. L’érudition d’outre-Rhin, disait Fustel de Coulanges, — et le disait ici même, il y a cinquante ans, — a toujours marché de concert avec les ambitions nationales, avec les convoitises ou les haines du peuple allemand : « Si le peuple allemand convoite l’Alsace et la Lorraine, il faut que la science allemande, vingt ans d’avance, mette la main sur ces deux provinces. Avant qu’on ne s’empare de la Hollande, l’histoire démontre déjà que les Hollandais sont des Allemands. Elle prouvera aussi bien que la Lombardie, comme son nom l’indique, est une terre allemande, et que Rome est la capitale naturelle de l’empire germanique. » Voilà l’histoire à l’allemande : est-ce l’histoire de chez nous ?

Enfin, les savants que cite M. Reynaud, je ne dis pas qu’ils n’aient rien rapporté d’Allemagne. Les méthodes : mais elles venaient de chez nous. Quant aux idées et aux doctrines, la plupart de celles qu’ils ont rapportées d’Allemagne sont maintenant les plus discutées et réfutées. L’une de ces idées, et qui eut un succès prodigieux, consiste à rechercher et, faute de les trouver, à supposer les origines populaires de toute une littérature immense et prolifique. La Germanie étant, par un symbolisme très matin, Nature et Foule, étant le Peuple, ce qu’on donnait au peuple, aux foules inspirées et à la nature chantante, la Germanie le prenait comme sien. La Germanie utilisa le folklore et s’en servit comme d’un stratagème pour l’annexion de ce qui la tentait. L’origine populaire de nos épopées est aujourd’hui