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et un peu vagues, prêteraient à une discussion la plus vaine du monde. Sur quelques points, je contesterais volontiers l’opinion de M. Reynaud, qui me paraît trop généreux envers l’Allemagne.

Il veut bien dire que Lamartine et Chateaubriand « ne doivent pas tout » à l’influence allemande. A la bonne heure ! Mais que lui doivent-ils ? Et Victor Hugo, et Musset, et Gautier ? C’est une thèse aujourd’hui répandue que le romantisme français vient d’Allemagne. Les ennemis du romantisme ont trouvé ce moyen de dénigrer toute une époque magnifique de notre littérature ; et ils ne manquent ni d’entrain, ni d’éloquence. Au temps du romantisme, l’Allemagne était à la mode, mais oui ! comme, au temps du Cid, l’Espagne était à la mode. Le Cid est pourtant de chez nous : et, pareillement, notre romantisme est français : il l’est à merveille. L’Allemagne ne nous a point donné Chateaubriand, ni Lamartine : et qu’ils ne lui doivent pas tout ? il ne lui doivent rien ! Ni Hugo, ni Musset, ni Gautier ; car il ne faut compter pour rien ce qu’on remarque, en un petit nombre de leurs poèmes, et où l’on aperçoit cette mode que j’indiquais.

Il y a un excellent chapitre de M. Reynaud, intitulé : « Fantômes poétiques d’outre-Rhin », ces fantômes, ce sont Marguerite et Faust, la Mignon de Wilhelm Meister, la Lénore de Bürger, les héros et les héroïnes des Contes fantastiques, Hélène du second Faust. Et ces fantômes apparaissent dans quelques poèmes romantiques : on les voit aussi, en bronze et gracieusement démodés, sur des pendules de la Restauration ; de sorte que les Allemands, ces grands chapardeurs de pendules, ramenaient souvent au pays leurs filles, (Lénore, Marguerite ou Mignon. Ce n’est pas ça, le romantisme : c’est toute une poésie, et qui ne vint pas d’Allemagne, mais naquit bel et bien chez nous, y a fleuri et s’y est épanouie admirablement. M. Reynaud note « l’inaptitude de nos romantiques à saisir autre chose, dans les productions allemandes, que le côté pittoresque. » Ainsi, nous aurions Chateaubriand et Lamartine, nous aurions Victor Hugo, Musset, Gautier, nous aurions le romantisme, sans l’Allemagne. C’est tout ce que je voulais dire ; après cela, je ne nie pas que l’on ne reconnaisse par ci par là dans quelques œuvres romantiques, non les plus belles et durables, divers colifichets allemands.

Au milieu du siècle dernier, nos érudits, nos philosophes et historiens, ont fait grand cas de la science allemande et se sont dits élèves de l’Allemagne. L’influence allemande a « remis en honneur, » dit M. Reynaud, les méthodes que nous avions possédées, — que nous avions même inventées, — et que nous négligions depuis longtemps.